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solliciter le concours des conventionnels les plus modérés. Cet événement procédait de tout le passé des factions dans la Convention ; il en changea tout l’avenir. C’est ici, en effet, que commencent le grand remous et le reflux de la révolution. C’est dans ces confins obscurs et dans ces souterrains des comités que s’opèrent les soulèvemens sourds du terrain qui vont modifier l’équilibre des eaux et détourner le courant vers une pente nouvelle : le courant ne la remontera pas.

« Cette espèce de gens, » disait Lamoignon à Retz, à propos des modérés de leur temps, « ne peut rien dans les commencemens des troubles ; elle peut tout dans les fins. » Ceux qu’on appelait les députés de la plaine ou le marais de la Convention attendaient, en se courbant, que la tempête fût passée : leur seule politique était d’y survivre. Tous les terroristes leur paraissaient également odieux ; les factions qui se formaient dans les comités leur semblaient également tyranniques ; la honte et le péril étaient les mêmes à obéir aux unes ou aux autres. Les modérés ne songeaient qu’à se faire oublier de toutes. Toutes se trouvèrent amenées, en même temps, à les rassurer et à les ménager. Robespierre, dont leur soumission flattait l’orgueil, s’imaginait qu’en les épargnant il les tiendrait toujours subjugués. Il leur fit entendre que, les sachant honnêtes au fond et enclins à la vertu, il avait, par égard pour eux, laissé vivre les soixante-treize députés de la gironde incarcérés depuis un an. Ils l’écoutèrent ; ils écoutèrent aussi les dissidens des comités, mais ils y mirent plus de précaution. Ils jugeaient Robespierre moins fourbe, moins dangereux aussi à entendre parce qu’il tenait le pouvoir, plus redoutable à combattre parce qu’il avait jusqu’alors vaincu tous ses ennemis. Ils continuèrent de le flatter sur l’article où ils le pouvaient flatter sans se compromettre et sans se déshonorer : son Être suprême. Le 30 juin, un des hommes les plus droits de la plaine, qui montra dans la suite du talent et du courage, Boissy d’Anglas, publia un Essai sur les fêtes nationales. Il y vanta la « morale bienfaisante et saine » du discours de prairial ; il compara l’orateur à « Orphée enseignant aux hommes les principes de la civilisation et de la morale. » Les modérés faisaient acte d’orthodoxie et se mettaient en règle avec le saint-office. Ils s’en tinrent là, ayant lieu de craindre qu’après, les avoir entraînés à des engagemens téméraires, les factions rivales ne fissent la paix à leurs dépens. La prudence leur commandait la neutralité. En cas de bataille, ils jugeraient des coups, ils se réserveraient le rôle d’arbitres du combat et se porteraient, si leur intérêt les y poussait, du côté du plus fort.

La question était donc de savoir lesquels, d’entre les terroristes, auraient le plus de peur des autres. Robespierre évitait de