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Les cours voyaient le pouvoir se concentrer en France. Jugeant ce gouvernement à la portée de ses coups, elles le jugeaient très puissant. Les causes profondes de la défense nationale de la France leur échappaient ; elles ne savaient rien comprendre que par l’action de l’intrigue ou par celle du génie ; il leur fallait un protagoniste. Elles attendaient depuis près de deux ans le dictateur qui, selon tous les précédens, devait mettre fin à la révolution en usurpant la république. Dès qu’elles virent Robespierre sortir de la foule des démagogues, elles l’isolèrent aussitôt, rabaissèrent tout autour de lui et le grandirent démesurément, empressées de faire rentrer cette révolution inexplicable dans les explications coutumières de l’histoire, et comme soulagées d’apercevoir un homme. Les assimilations historiques, depuis les révolutions de Rome jusqu’à celle d’Angleterre, la plus récente et la mieux connue, entretenaient ce travail de fantasmagorie. Tout le monde en Europe avait lu l’Essai sur les mœurs. Princes, diplomates, généraux, ministres avaient, en apprenant le français, récité ou bégayé au moins l’oraison funèbre de la reine d’Angleterre. Ils étaient prévenus, et c’est le fantôme de Cromwell devant les yeux, qu’ils considéraient l’image vague et incertaine de Robespierre que leur présentaient leurs gazettes. Tout, leur semblait trahir en lui « le fanatique et le fourbe » de Voltaire, « l’hypocrite raffiné » de Bossuet ; ils y ajoutèrent la profondeur, l’audace, la politique. Dans ses discours, même les plus creux, et jusque dans ses injures aux rois, ils découvrirent cet « appât de la liberté » qui sert à prendre les multitudes, ces « mille personnages divers, » ce docteur et ce prophète, qui servent à les conduire ; ils attribuèrent de la subtilité à ses actes les plus atroces et ils y reconnurent les moyens, encore mystérieux, de quelque grande entreprise que la fin justifierait. C’était leur morale, elle ne les offusquait point chez autrui, même sous cette figure. « Toutes les nations, avait dit Voltaire, courtisèrent à l’envi le protecteur. » Les cours attendaient seulement, pour courtiser Robespierre, qu’il daignât se révéler.

Si la Terreur n’était qu’un moyen de salut public, il fallait qu’elle cessât alors. Mais la Terreur n’avait pas d’autre motif que d’établir et de soutenir la suprématie des terroristes ; elle devint plus féroce à mesure qu’elle parut plus inutile. Tous les ennemis de la république étaient brisés ; il restait encore des factions dans la république ; c’est contre ces factions que se tourna Robespierre, croyant n’avoir plus qu’elles à redouter. Il y avait les hébertistes, hiérophantes cyniques du culte crapuleux de la nature, qui prétendaient pousser jusqu’à son terme la souveraineté du moi : ils étaient la logique vivante de la Commune, et ils se proposaient d’accomplir la