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particulières s’y rapportent, et connue la vertu n’est que la conformité de la volonté particulière à la générale, pour dire la même chose en un mot, faites régner la vertu[1]. » La vertu, c’est moi ! pensait Robespierre. Il en concluait que la volonté générale voulait son règne. Comme la France s’y montrait rebelle, il tuait pour que la peur contraignît les Français à vouloir la vertu. Or il y avait bien réellement dans le pays, cette année-là, une volonté générale des Français, la plus déclarée, la plus constante, la plus salutaire qu’eût jamais manifestée une nation, et elle n’errait point. Mais elle n’était point que les terroristes régnassent en écorchant et en déformant la France. Elle était que la France fût indépendante, que les ennemis fussent chassés hors des frontières, que les émigrés ne rentrassent point avec l’ancien régime, que les droits de l’homme prévalussent, que la république triomphât, que la révolution fût garantie. Tout cela ne se pouvait obtenir que par la guerre ; c’est pourquoi il suffit d’appeler à la direction de la guerre un agent intelligent et probe de l’État pour que la nation s’ordonnât en aimées disciplinées et vaillantes. La Terreur opérait simultanément avec la défense ; mais elle opérait un autre ouvrage.

Au mois de janvier 1794, le territoire de la France était délivré, l’année vendéenne écrasée, les séditions royalistes étouffées, les insurrections fédéralistes anéanties, Louis XVI et Marie-Antoinette n’existaient plus, les frères de Louis XVI étaient reniés ou abandonnés de l’Europe, les émigrés dispersés ou enrégimentés en mercenaires, la France les exécrait, l’Europe les délaissait. La nation française entière était en armes ; les troupes s’exerçaient rapidement sous des chefs consacrés par la victoire. Hoche, Jourdan, Pichegru, Marceau, Kléber, Bonaparte venaient de surgir. Le temps des épreuves était passé, rapporte Soult : les armées étaient mûres pour l’offensive, et elles s’y disposaient. La coalition, un instant formidable, vacillait de nouveau et se lézardait. L’Espagne insinuait la paix en Danemark, la Prusse et la Hollande l’insinuaient en Suisse, les petits états d’Allemagne l’insinuaient partout. — Le roi de Prusse est las de la guerre, répétait Bernstorff à Grouvelle : si on lui avait promis de ne point passer le Rhin, il se serait retiré ; il Rome son rôle à défendre l’empire. Bernstorff offrait d’appuyer toutes les démarches qui seraient faites en vue de la paix. Il ne le proposait, disait-il, qu’à bon escient, et après s’être assuré que la pensée de la paix générale « était devenue, non une simple hypothèse, mais une mesure susceptible de quelque effet, du moment qu’elle ne paraîtrait pas devoir être repoussée par la France. »

  1. Contrat social, liv. II, ch. III. — Discours sur l’économie politique.