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Les patriotes polonais s’agitaient et conspiraient une prise d’armes contre la Russie. Ils avaient des émissaires à Paris ; un agent républicain, intelligent et informé, Parandier, les observait et correspondait avec eux. Ils sollicitaient un subside de 12 millions. Parandier appuyait leur demande : « Une révolution en Pologne, disait-il, seconderait la politique française, » retiendrait les Russes dans le Nord, y attirerait les Prussiens, inquiéterait les Autrichiens. Une Pologne indépendante entrait dans le système de la France, qui devait être de s’environner, au-delà du Rhin, « d’une ceinture de républiques fédératives. » Rien ne fit : « Les affaires de Pologne, considérées isolément, paraissaient alors si désespérées, écrit un témoin ; la position des réfugiés polonais, quoiqu’avec une meilleure cause, paraissait si semblable à celle de nos émigrés, et nos moyens d’influence directs étaient si précaires et si faibles, que le ministre ne crut pas, pour le moment, devoir flatter des espérances qu’il eût été peut-être impossible de réaliser. »

Cacault, toléré à Florence, en expédiait une correspondance bien nourrie ; mais peut-être, disait-on au ministère, vaudrait-il mieux que Florence et Gènes fussent ennemies, « car c’est par là qu’il faudra pénétrer tôt ou tard pour venger les injures multiples de l’évêque de Rome. » À Venise, Noël, exclu comme étranger de la société des membres du sénat, et proscrit, comme Français, de celle du corps diplomatique, n’avait de communication avec personne et se voyait condamné à une existence « obscure et humiliante. » Soulavie ne faisait à Genève que des sottises. Genet, qui en fit davantage aux États-Unis, fut rappelé le 16 octobre : » Nos rapports avec les puissances étrangères, écrivait Deforgues, sont ceux d’une place assiégée. »

Tel était le vide des affaires. Robespierre, qui en avait, après coup, formulé le principe, jugea opportun d’en développer la théorie. Il lui importait de se poser en homme d’État. Il voulait prouver à la France que le génie politique de la révolution n’était pas mort avec Brissot et ne s’était pas effacé avec Danton. Il prétendait surprendre l’Europe en prouvant que l’homme le plus inaccessible à la corruption des cours était, en même temps, le juge le plus perspicace de leur duplicité. Il fit rassembler des notes par les commis des affaires étrangères et rédigea de la sorte un grand discours, qu’il lut à la Convention, le 27 brumaire-17 novembre 1793. Il loua les petits États neutres, la petite bourgeoisie européenne. Cette tradition de la politique royale s’accommodait de soi-même à son tempérament. Il rassura les Suisses, caressa les Américains, dénonça l’ambition artificieuse de Catherine et montra aux puissances secondaires le danger que leur ferait courir la chute de la France. Toute cette partie, très classique d’ailleurs, était écrite de l’encre des bureaux :