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Sous l’empire des mêmes pensées qui avaient fait écrire à Barthélémy, le comité arrêta, le 11 octobre, qu’un crédit de 4 millions serait ouvert à Descorches « pour aplanir les difficultés » à Constantinople et persuader les Turcs de déclarer la guerre à l’Autriche. Descorches fut avisé, les 23 et 25 octobre, que si ces quatre millions ne suffisaient pas, il pouvait s’engager à de plus grands sacrifices. Cette dépêche partit trop tard. Le Divan avait appris la chute de Toulon, et l’ambassadeur russe, Koutousof, qui fit son entrée à Constantinople vers la fin de septembre, parvint vite, par ses présens et par ses menaces, à « faire évaporer les fumées qui étaient montées à la tête des Turcs. » Les A millions, d’ailleurs, n’arrivèrent pas : « Au point où en sont les esprits, écrivait Descorches, le 6 janvier 1794, la solution du problème est, je crois, dans les événemens. Que Toulon soit repris, comme nous nous en flattons dès à présent, qu’une flotte de la république nous rouvre la Méditerranée, et nous ferons ici ce que nous voudrons. » Les démarches de Descorches ne furent cependant pas perdues. Elles fournirent à la grande Catherine un prétexte pour refuser d’envoyer des Russes sur le Rhin : « Je ne puis, écrivait-elle en janvier 1791, car j’ai à attendre à tout moment d’avoir affaire aux Turcs. Descorches prêche la guerre avec les deux cours impériales à la fois. Or de ce salmigondis, il résulte que je dois être sur mes gardes et ne saurais faire marcher mes troupes dans des pays lointains en grand nombre. »

Cette annonce de 4 millions à Descorches épuisa toutes les ressources diplomatiques du comité de Robespierre. Le comité de Danton avait approuvé, le 16 mai, un projet de traité de neutralité armée et d’alliance éventuelle avec la Suède. Ce traité promettait aux Suédois, en cas de guerre commune, un subside de 18 millions tournois par an. Staël avait envoyé le traité à Stockholm, puis il était parti lui-même pour la Suisse après la révolution du 2 juin. Il réclama la ratification de son traité et ne parvint pas à l’obtenir. La république était trop à court d’argent pour payer des subsides. Le comité se contenta de recommander aux Suédois et aux Danois la défense de leur propre neutralité, c’est-à-dire de leur indépendance et de leurs intérêts. Il régla, avec ces deux nations, les rapports, bien réduits, du commerce français. Grouvelle résidait officieusement à Copenhague et trouvait dans le ministre Bernstorff un homme disposé à procurer, le moment venu, la paix générale. Mais il ne savait que répondre aux insinuations qu’il recevait, n’ayant, disait-il, sur les plans de la république que « des présomptions très bornées. » Il demanda qu’on l’éclairât. Deforgues lui écrivit, le 23 novembre, qu’en attendant « qu’un plan général fût définitivement adopté, » il s’en référait à ses lettres antérieures.