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Le même jour, tous les ci-devant nobles qui pouvaient se trouver encore dans les emplois diplomatiques ou consulaires furent révoqués. Les agens firent leurs preuves de ci-devant roture, mais ils n’en furent ni mieux instruits, ni mieux payés. Leurs traitemens, rongés par le discrédit des assignats, ne leur parvenaient que très irrégulièrement. Depuis que Danton n’était plus aux affaires, ils ne recevaient plus de directions. Leur correspondance, à partir du mois de juillet 1793, est une continuelle doléance sur ces deux articles, celui des ordres et celui de l’argent. A Constantinople, Descorches, que tout le monde accusait de corrompre le Divan, se voyait réduit à emprunter aux Turcs. Des frégates françaises de la station du Levant, étant en détresse, s’adressèrent à lui : « Sans moyens pour moi-même, rapporte-t-il, quel extrême embarras ! Nulle ressource possible dans le commerce. Je confiai ma peine au reis-effendi, et aussitôt le grand seigneur ordonna qu’on me délivrât les fonds dont j’avais besoin. Deux fois il m’a rendu le même service. »

Le 4 octobre, Deforgues sollicita une décision sur les affaires de son département « dont la marche se trouve arrêtée depuis quelque temps. » Le comité eut alors une velléité d’action diplomatique. Il songea à organiser les émissaires secrets dont l’arrêté du 16 septembre avait décidé l’expédition. L’objet de ces émissaires devait être de renseigner le comité sur les dissensions des coalisés et de préparer à la république les moyens d’en profiter. Deforgues en écrivit, le 25 octobre, à Barthélémy, qui, dans son ambassade de Suisse, était le véritable ministre du dehors de la république : « Si, disait-il, on faisait entrevoir à telle puissance la possibilité de la dédommager de ses pertes, à telle autre celle de s’agrandir aux dépens de l’un de ses alliés, il est vraisemblable qu’on parviendrait bientôt à les désunir. » Cette dépêche montre qu’il y avait encore des gens prêts à sacrifier les principes aux intérêts, à s’approprier l’ancienne intrigue diplomatique et à faire marché de peuples et de territoires pour transiger avec les rois. Ces transactions étaient dans les nécessités de la politique, mais elles n’étaient point dans le Contrat social, et si on les accorde aisément avec les desseins de Danton, on ne saurait les accommoder aux dogmes de Robespierre. Toujours est-il qu’il n’y fut point donné de suite. Barthélémy répondit qu’il n’avait reçu aucune insinuation pacifique, qu’il n’entretenait « aucune correspondance » avec les pays ennemis, que toute correspondance même lui semblait, pour le moment, impraticable, à cause de « l’inquisition » que les gouvernemens exerçaient « sur tous les mouvemens des patriotes, des étrangers, des voyageurs et particulièrement sur les communications épistolaires. »