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s’attribuent l’honneur d’une victoire remportée par leurs soldats et se vantent d’avoir disposé des actions dont ils ne sont que les témoins, Robespierre transformait son avènement même en un sacrifice perpétuel de sa personne à la cause populaire.

Il menait le club des jacobins, maîtrisait la Convention et gouvernait le comité de salut public ; mais il n’agissait que pour fanatiser, et il ne régnait que par la guillotine. C’est toute la Terreur, et c’est aussi toute l’œuvre de Robespierre. La Convention et le comité de salut public firent, en même temps, autre chose : la Convention décréta et le comité organisa la défense nationale ; mais Robespierre n’y fut pour rien, et la Terreur n’y intervint que pour la paralyser. Le comité de salut public était, dans son intérieur, un conseil fort discordant. Il se composait de douze hommes, tous passionnés, mais de passions diverses, dont l’omnipotence commune ne fit qu’attiser les rivalités et aiguiser les dissidences. D’un côté, les fanatiques, les triumvirs, comme on les nomme, qui ont le département de la Terreur. Robespierre, avec ses deux séides : Couthon, qui est son audace, et Saint-Just, qui est sa pensée. Derrière eux, les épiant, les éperonnant, leur souillant la mort, les hommes de sang, Billaud-Varennes et Collot-d’Herbois. Puis, pour compléter le groupe des terroristes, Prieur de la Marne, leur émissaire ; Hérault-Séchelles, leur complice ; Barère, leur coryphée ; ces deux-là prêts à tout : Hérault, pour qu’on le laisse vivre ; Barére, pour qu’on le laisse déclamer : intelligence servile, plume prostituée, parole esclave, conscience vide, œil sans regard, bouche toujours souriante au mensonge. Ils forment la majorité, mais c’est en dehors d’eux que s’opère la vraie besogne d’État. Tout l’État est dans les armées ; c’est le groupe des hommes de la guerre qui fait l’efficace du comité : Robert Lindet, né administrateur ; Prieur de la Côte-d’Or, officier du génie ; Jean-Bon-Saint-André, ci-devant pasteur au désert, fait pour l’action. Au milieu d’eux, représentant dans la révolution la race des grands serviteurs de l’État, comme Robespierre y représente celle des sophistes funestes, Carnot.

Son entrée au comité, qui sauva les affaires et sauva le comité même de l’exécration de l’histoire, se fit par une sorte d’inconséquence forcée des terroristes. On était au milieu d’août, pressé par la défaite, étourdi par le désordre même des efforts de la défense. Il fallait un homme pour la guerre, car la guerre ne s’ordonne point avec des phrases, et les décrets n’y sauraient suffire. Les terroristes redoutaient les militaires : ils en peuplaient les prisons, ils condamnaient les généraux vaincus et suspectaient les vainqueurs. Mais ils craignaient davantage Pitt et les émigrés. La peur, qui décidait de tout, décida du choix de Carnot, et ce fut Barère qui le proposa. Ce Figaro sanguinaire ne croyait point à ses