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particulièrement intéressante à ce point de vue. Les deux premiers contiennent, la description fameuse d’une aventure extraordinaire. Gog, prince de Magog, deux noms d’ailleurs inconnus[1], parti du fond des régions du nord et traînant une multitude de peuple à sa suite, vient porter la guerre sur la terre d’Israël, où il est vaincu et tué. Les commentateurs n’ont pu trouver une explication plausible de ces chapitres. La difficulté disparaît si on suppose qu’ils ont été ajoutés au texte d’Ézéchiel à l’époque de l’invasion des Parthes en Judée, où ils n’avaient pas encore paru, et où Antigone les appela vers l’an 40 avant notre ère. Gog est le Pacorus des historiens grecs et de Josèphe. La bataille où il fut vaincu et tué (par les Romains) n’eut pas lieu précisément en Judée, mais à côté, dans ce qu’on appelait la Cyrénaïque (Plut., Antoine, 34). De plus, en Judée même, les Parthes avaient livré à Hérode plusieurs combats où ils furent défaits et où ils laissèrent des morts (Antiq., 14-13-8). Ce sont ces événemens que le prophète traduit avec une imagination dont les hyperboles répondent à la fois aux habitudes du genre et à l’impression qu’avait dû faire sur les juifs une invasion si inattendue et que les juifs étaient incapables de repousser par eux seuls.

Plus tard, quand Pacorus fut oublié, car cette espèce d’inondation n’eut qu’un temps bien court, ces deux chapitres ne durent paraître qu’une vision sans réalité présente, que l’avenir seul accomplirait, un avenir qui se confondait avec l’attente de la fin du monde. C’est ainsi que dans l’Apocalypse, après le règne de mille ans, on voit Gog et Magog[2], qui assiègent la ville des saints avec des armées innombrables, mais qui sont dévorées par le feu du ciel (20-7).

Les neuf derniers chapitres du livre qui porte le nom d’Ézéchiel sont remplis par le plan purement idéal d’une restauration du Temple, d’autant plus grandiose qu’elle ne coûte rien à l’écrivain. C’en est assez pour conjecturer tout d’abord que ce morceau a été écrit à l’époque où Hérode a pensé à rebâtir le Temple, et avant que cette reconstruction ait été exécutée. Et ce qui confirme cette conjecture, c’est la place que tient dans ces chapitres le Chef, nasi, qui n’est pas grand-prêtre et n’offre de sacrifices que par la main des prêtres (46-2), mais qui fournit les victimes et qui a droit ainsi que ses fils à des honneurs et à un domaine qui le mettent tout à fait à part (45-7-17 et 46-16.) Ces pages donc n’ont pu être écrites au IIe siècle sous les Asmonées, mais seulement sous Hérode.

  1. Chacun des deux se trouve une fois dans la Bible (Genèse, 10, 2 et II, Chron., 5, 4), mais sans aucun rapport avec ce qu’ils signifient dans Ézéchiel.
  2. Et non plus Gog, prince de Magog.