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On sait ce que sont devenus, entre les mains des chrétiens, ces passages célèbres. Ils les ont appliqués à Jésus ; ils y ont vu la Passion et la résurrection du Christ, tandis qu’il n’y faut voir que la Passion et la résurrection d’Israël. On peut supposer même que le récit des évangiles contient tel détail qui n’a rien d’historique et est simplement emprunté à la prophétie, comme celui des crachats (Marc, 14-65 et 15-19). Il est vrai qu’on y trouve en revanche des traits qui la contredisent ; où est le Jésus à qui le grand-prêtre demande : « Est-ce toi qui es le Christ ? » et qui répond fièrement : « Oui, et vous verrez, le Fils de l’homme assis à la droite de la Puissance et marchant sur les nuées » (Marc, 14-62). Il ne ressemble guère à la brebis humble et muette du Second Isaïe, quoi qu’en dise le livre des Actes (8-32). Mais c’est certainement au chapitre du Second Isaïe qu’est due l’idée même de la Rédemption et de l’agneau qui se charge des péchés du monde.

Ce rapport entre le prophète et le fond même du christianisme suffit pour montrer combien ils sont voisins l’un de l’autre, et qu’on est là bien loin du temps de Cyrus.

Le christianisme doit encore au Second Isaïe une idée qui y a tenu longtemps une grande place, celle de la nouvelle Jérusalem. Le prophète célébrait Jérusalem restaurée, mais restaurée de deux manières, matériellement et moralement, dans ses bâtimens par la magnificence d’Hérode, dans son influence par le succès de la propagande juive. Il accumule les images brillantes ; j’en ai déjà cité quelque chose ; mais il dit encore (c’est Jéhova qui parle) : « J’enchâsse tes pierres dans l’antimoine (dont on faisait un fard pour les femmes), et je te donne pour fondemens des saphirs. Je te donne pour créneaux des rubis, et pour portes des escarboucles, et toute ton enceinte est de pierres précieuses » (64-11-12). Ces figures ont été prises à la lettre, et une pareille ville ne pouvait, dès lors, être placée que dans le ciel, comme on le voit dans l’Apocalypse (21-10). On attendit longtemps qu’elle descendit en effet du ciel. Puis ces rêves s’évanouirent, et alors on entendit simplement par la nouvelle Jérusalem l’église chrétienne. C’est ainsi que Racine l’a présentée dans la prophétie de Joad[1].

Dans ce cas, l’idée de la nouvelle Jérusalem se confond avec celle de la vocation des Gentils. Celle-ci n’est pas étrangère aux prophètes de la fin du IIe siècle, puisqu’ils avaient vu Hyrcan imposer le judaïsme, d’abord aux tribus séparées et puis aux Iduméens. Leur Jéhova était

  1. Quelle Jérusalem nouvelle ?… etc.
    (Athalie, acte III, scène VII.)