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Maintenant, si on est bien pénétré de la nécessité de faire ce que j’ai appelé une transposition, il doit y en avoir encore une à faire, et il ne faut accepter la tradition que relativement, et en conclure seulement, après avoir fixé la date des premiers prophètes au IIe siècle, que les deux autres, étant plus récens encore, ont paru à une distance du IIe siècle à peu près égale à celle qu’il faudrait supposer entre les uns et les autres, d’après la tradition même. Quelle sera cette distance, et où les placerons-nous ? Il me semble qu’avant tout examen, on pense naturellement au règne d’Hérode. En effet, l’histoire des temps qui séparent le premier Hyreau d’Hérode n’était pas faite pour inspirer les écrivains. L’intervalle est rempli à la fois par des désordres et des guerres civiles qui déchirent le pays au dedans, et par des coups terribles frappés du dehors. Pompée entre dans Jérusalem et emporte le Temple d’assaut en l’an 63 avant notre ère, et les Israélites furent dès lors des sujets. Puis la révolte de César bouleverse le monde entier, et avec le monde, le peuple d’Israël. La race illustre des Asmonées s’éteint au milieu de l’anarchie. Voilà ce qu’auraient eu à dire les prophètes d’alors.

Tout à coup, Hérode est roi. Il s’était élevé, en dehors de la race royale, je dirais presque en dehors de la nation, car il était d’une famille de l’Idumée, et un Iduméen n’était, dit Josèphe, qu’un demi-juif (Antiq., 18-5-4). Nullement scrupuleux et très habile, il fut de très bonne heure un personnage. Héritier d’une fortune énorme, amassée par son père Antipater, et qu’il grossit encore, il la mit au service d’Antoine d’abord, puis d’Octave, aussitôt qu’Antoine fut détruit, et s’assura ainsi l’appui des Romains. Ils le firent roi et lui prêtèrent une armée romaine, pour assiéger et prendre avec lui Jérusalem. Il eut un règne de quarante ans, prospère et brillant même.

Les Romains lui avaient rendu tout ce que Pompée avait ôté à ceux d’avant lui ; jamais le pays n’avait été si grand ni si riche. Il se passait, il est vrai, d’étranges scènes dans l’intérieur du palais du roi ; mais les désordres ou même les assassinats n’allaient pas jusqu’à la foule. Son autorité ne fut menacée qu’une fois, au moment où il allait mourir, et il la maintint à force d’être impitoyable. Ses bâtimens étaient magnifiques, et son crédit auprès des maîtres du monde se soutint toujours. Ses sujets, sans doute, ne l’aimaient pas : c’était un Iduméen, un fils d’Esaü ; c’était le meurtrier des Asmonées, rois et grands-prêtres ; c’était le courtisan de César ; c’était un Grec, un homme des Nations, par les mœurs et l’indifférence. Mais ses trésors lui permirent de soulager efficacement le pays frappé par de grandes calamités, en même temps qu’il l’éblouissait et qu’il flattait son orgueil par la magnificence de ses bâtimens. Et