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II

Ce principe essentiel de la stratégie navale, nous sommes arrivés à l’établir, par une série de déductions, en partant de l’un des termes de la définition. Il en est d’autres, on le pense bien, qui n’ont rien perdu de leur solidité et qui méritent un examen d’autant plus attentif qu’ils se lient étroitement au principe essentiel, découlant comme lui de la définition même.

La stratégie navale, disions-nous, est l’art de distribuer et de diriger les forces maritimes sur le théâtre de la guerre.

Diriger une flotte, une escadre, une division même, soit en vue des opérations principales, soit en vue d’une opération secondaire, cela se traduit, en dernière analyse, par le tracé d’une ligne d’opérations ; cette ligne, si elle suppose un point terminal, « l’objectif, » suppose aussi un point initial, qu’il dépend de nous de désigner, mais dont le choix ne saurait être indifférent. C’est, en effet, la base d’opérations.

Pour la stratégie, en général, une base d’opérations est un point d’appui autour duquel on concentre l’armée après y avoir réuni à l’avance toutes les ressources qui lui sont nécessaires. C’est de là que cette armée se met en marche pour atteindre le théâtre des opérations.

Cette définition, on n’en saurait douter, s’applique aussi bien aux armées navales qu’aux armées de terre ; toutefois, si nous entrons dans le détail, nous découvrons dans la manière de constituer une base d’opérations, suivant qu’elle est destinée à une flotte ou à une armée modernes, des différences importantes qui justifient déjà la distinction que nous avons faite des deux branches de la stratégie.

Les grandes armées d’aujourd’hui, ne pouvant se mouvoir avec aisance que sur des voies bien tracées, routes carrossables et chemins de fer, sont obligées d’élargir leur base de façon à embrasser tout un réseau dont les branches vont se réunir sur le théâtre présumé des opérations. D’ailleurs, l’encombrement qui résulterait de la concentration des masses mobilisées sur un étroit espace ne permettrait plus de se contenter d’une place forte comme unique point d’appui. Enfin, une base étendue peut seule garantir à une armée poursuivie, débordée par l’ennemi, la précieuse faculté de se dérober à son étreinte par une retraite latérale.

Rien de semblable pour une armée navale : sa base d’opérations ne saurait embrasser une vaste étendue de côtes ; la côte est inhospitalière aux grands vaisseaux, et les ports dont elle est semée ne donnent guère asile qu’à des navires de tonnage moyen : ce n’est