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Supposons maintenant Napoléon ou M. de Moltke, chargés du soin de tracer le plan de ces opérations maritimes à la place de Louis XVI et de M. de Sartines.

On peut être assuré qu’apercevant nettement l’objectif principal, reconnaissant la nécessité de prendre sur le théâtre principal des opérations une offensive énergique, ils auraient prescrit la jonction des deux escadres armées à Toulon et à Brest, et donné au comte d’Orvilliers la mission précise d’attaquer et de détruire avec ces 40 vaisseaux l’armée anglaise de la Manche, qui n’en comptait que 27.

Et, en effet, qu’importait à l’issue du conflit engagé entre les deux plus grandes puissances de ce temps, le résultat du siège d’une bicoque américaine ? C’était dans les eaux d’Europe, c’était dans la Manche qu’il fallait arracher à la Grande-Bretagne la domination du Nouveau-Monde, et une défaite décisive essuyée par l’escadre de Keppel obligeait tout au moins l’amirauté anglaise à rappeler des États-Unis les vaisseaux de l’amiral Howe : privés de leur appui naturel, les soldats de Clinton ne se seraient pas soutenus longtemps au milieu des colonies insurgées.

Au demeurant, rien ne nous empêchait de continuer, en faveur des Américains, nos envois d’armes, d’uniformes et d’argent ; on pouvait y consacrer des bâtimens légers, des frégates, des avisos, dont nous avions un bon nombre. N’était-ce pas là des opérations accessoires qui répondaient parfaitement à un objectif secondaire ?

L’erreur de Louis XVI et de son conseil fut donc de ne pas distinguer nettement leur objectif principal de l’objectif secondaire, et de ne pas consacrer à la poursuite du premier la plus grande partie, sinon la totalité de leurs forces.

Nous allons voir la même faute commise dans des temps plus rapprochés de nous.

Sans revenir sur les longues discussions auxquelles a donné lieu l’avortement du plan de campagne des armées italiennes en 1866, il est permis de rappeler que le projet soumis au roi Victor-Emmanuel par le général Cialdini, commandant de l’armée du Pô, comportait la coopération de la flotte à l’invasion de la Vénetie par le sud. Sans doute cette coopération active ne pouvait être demandée à la puissante escadre de l’amiral Persano qu’à partir du moment où elle aurait mis hors de cause l’armée navale que l’amiral Tegetthof armait péniblement à Pola. Mais le projet Cialdini ne reçut pus la sanction royale : on préféra, s’attaquer directement au quadrilatère, tentative hardie qui aboutit à la défaite de Custozza. Au reste, quel que fût le plan poursuivi par les armées de la jeune Italie, il ne pouvait y avoir de doute, semble-t-il, sur l’objectif principal, sur l’objectif essentiel dévolu à sa flotte : c’était