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supérieur ou inférieur ? Le calcul infinitésimal ne roule assurément que sur des formules ; mais ces formules sont des symboles frappans. Il y a des ordres divers d’infini, dont les inférieurs sont zéro à, l’égard des supérieurs. Ce paradoxe apparent sert de base à des calculs d’une absolue vérité. Toute quantité finie, ajoutée à l’infini ou retranchée de l’infini, équivaut à zéro ; toute quantité finie n’est rien comparée à l’infini. Nos idées de l’espace et du temps sont toutes relatives. La distance de la terre à Sirius est énorme d’après nos mesures. Les vides intérieurs d’une molécule peuvent être aussi considérables pour des êtres doués d’un autre critérium de la grandeur. La longévité de notre monde pourrait, aux yeux d’un dieu, paraître l’équivalent d’un jour.

Tout semble ainsi composé de mondes existant à peine au regard les uns des autres, et pour eux-mêmes étant l’infini. Celui qui connaît le mieux la France ignore ce qui se passe dans les mille petits centres de province ; celui qui connaît un de ces petits centres ne voit rien au-delà et le trouve composé de centres plus petits encore, dont chacun ne voit que lui-même. Des mondes renfermant des mondes, l’infiniment petit de l’un étant l’infiniment grand de l’autre, voilà la vérité. Notre réalité (celle où nous vivons et qui pour nous est le fini) est faite avec des infinis d’un ordre inférieur ; elle sert elle-même à faire des infinis supérieurs. Elle est un infiniment grand pour ce qui est au-dessous, un infiniment petit pour ce qui est au-dessus, un milieu entre deux infinis.

Nous voyons peu l’ordre d’infini qui nous dépasse ; mais l’ordre d’infini qui est au-dessous de nous, le monde de l’atome, de la cellule, du microbe composé de microbes, est d’une existence aussi certaine que l’ordre du fini, qui est le sujet habituel de nos recherches et de nos méditations. Les clichés de la mémoire, ces innombrables petites images que nous pouvons épousseter et faire revivre à volonté, tiennent sous la boite osseuse de notre cerveau, dans un espace très limité. Les types de la génération, renfermés les uns dans les autres, comme le bouton de fleur dans le bouton, sont un autre exemple de la flexibilité infime de l’espace ou plutôt de sa relativité[1]. L’atome peut renfermer un infini. Le charbon de terre qui entretient la chaleur dans nos cheminées est un composé de petits mondes que notre monde emploie ; nous sommes peut-être l’atome de carbone qui entretient la chaleur d’un autre monde. Nous ne voyons pas Dieu en cet univers ; l’athéisme y est logique et fatal ; mais cet univers est peut-être subordonné ; on

  1. Les considérations de la géométrie moderne sur l’espace ayant plu » de trois dimensions ont peut-être ici un lien avec la réalité.