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dans les écoles de rhétorique, où il avait fait son éducation : il développe régulièrement son sujet au moyen des idées générales. C’est Cicéron qui avait mis ce procédé en usage chez les Romains. Il le trouvait utile pour donner à ses discours les qualités qu’on appréciait le plus autour de lui, et vers lesquelles le portait son goût naturel, l’ampleur, l’élévation, la majesté. De là vint, dans ses ouvrages, cette copia dicendi qui, parmi ses contemporains, fit sa gloire. Après lui, les rhéteurs héritèrent du procédé, qui leur rendit de très grands services. Ils avaient pris la mauvaise habitude de faire plaider à leurs élèves le pour et le contre ; ils aimaient à traiter devant eux les sujets les plus extraordinaires, les moins raisonnables, choisissant ceux-là de préférence parce qu’ils étaient les plus difficiles et qu’ils mettaient leur esprit dans tout son jour : quand les panégyriques devinrent une sorte d’institution d’état, et que ce fut un devoir pour les rhéteurs de prononcer tous les ans l’éloge du prince ou de quelques grands personnages, ils durent se tenir prêts à célébrer des gens qui ne le méritaient guère, à leur découvrir à tout prix des qualités, et à tout tourner chez eux en éloge. Il leur fallut donc se faire une provision d’argumens de toute sorte, qui leur permit de plaider toutes les causes, de louer tous les princes avec une apparence de sincérité, et de n’être jamais pris au dépourvu. Les idées générales les aidèrent à se tirer d’affaire. Comme on en trouve toujours qui s’opposent l’une à l’autre sans avoir l’air de se contredire, et qui, dans les sens les plus contraires, sont également justes, elles leur permirent de soutenir, avec une parfaite conviction, les opinions les plus opposées. S’il leur fallait célébrer un parvenu, ils déclaraient que le plus grand mérite d’un homme consiste à ne devoir sa fortune qu’à lui-même, ce qui est rigoureusement vrai. Si leur héros était de grande maison, ils soutenaient qu’il n’y a rien de plus glorieux qu’un grand nom bien porté, ce qui n’est pas faux non plus. S’il avait usé du pouvoir avec douceur, c’était l’occasion d’affirmer qu’il n’y a pas de plus belle vertu que la clémence ; s’il s’était montré rigoureux, on établissait doctement que l’énergie est la première qualité d’un chef d’état. C’est ainsi que les idées générales ont des réponses à tout et qu’avec elles un orateur est sûr de ne jamais rester court.

Elles ont fourni à Tertullien son principal argument dans le traité du Manteau. « Pourquoi, dit-il à ses adversaires, me reprochez-vous d’avoir changé d’habit ? tout ne change-t-il pas dans le monde ? » Voilà un beau sujet d’amplification ; il n’est pas tout à fait nouveau, mais il est riche, et si Tertullien avait voulu tout dire, il aurait pu nous donner toute une encyclopédie. Il se borne