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menace éventuelle dans des circonstances qui n’ont rien d’impossible, il y a aussi des élémens incandescens, et l’Orient, avec ses confusions, avec ses incertitudes, reste à coup sûr un des foyers de ces élémens inflammables, c’est toujours un des points faibles de l’Europe. Le fait est qu’on ne sait jamais bien ce qui en sera de ces contrées où les agitations intérieures se compliquent des plus puissans antagonismes extérieurs. La Bulgarie, cette création du congrès de Berlin, a un prince que personne n’a reconnu, qui règne en dépit des traités dans un état aux limites indécises, qui ne se soutient que par une neutralisation à peine déguisée des grandes influences rivales. La Bulgarie, c’est le provisoire tourmenté qui ne peut pas devenir définitif tant qu’il lui manque la sanction invraisemblable de la Russie. La Serbie, quoique moins irrégulièrement constituée, n’est peut-être pas beaucoup plus en sûreté avec son roi enfant, sa régence incohérente, dont le chef, M. Bistitch, est gravement malade, et les partis toujours prêts à se déchaîner. Le roi Milan qui, après son abdication, était allé chercher le repos ou des inspirations à Jérusalem et même à Constantinople, vient de reparaître tout à coup à Belgrade. Il n’y est, dit-il, qu’en passant ; il n’est revenu, à ce qu’il assure, que par un sentiment de sollicitude paternelle, pour revoir et protéger son jeune fils. Il a retrouvé à Belgrade le métropolite Michel qu’il avait exilé et qui est maintenant plus puissant que jamais, les radicaux, des radicaux serbes qu’il a plus d’une fois traités en ennemis et qui sont aujourd’hui maîtres du pouvoir. Autour de lui les passions s’agitent, et si ce prince à l’humeur fantasque se laissait aller à la tentation de ressaisir le gouvernement, on ne voit pas bien ce qui arriverait. A Belgrade comme à Sofia, d’ailleurs, la vraie question est entre l’Autriche, qui a besoin d’étendre son influence pour assurer sa position dans la Bosnie, dans l’Herzégovine, et la Russie, qui n’a pas versé son sang pour se laisser bannir des Balkans, qui reste armée de son ascendant sur le monde orthodoxe. C’est la lutte qui peut éclater à tout instant sur les frontières serbes ou bulgares, pour laquelle la Russie se tient prête en face de l’Autriche plus ou moins appuyée par ses alliés. Et comme si ce n’était pas assez de ces complications toujours possibles, voilà un incident ou une diversion de plus, — une insurrection crétoise qui peut être aussi un des élémens de cette éternelle question d’Orient, qui rouvre la carrière aux rivalités, avec la perspective d’un nouveau démembrement de l’empire ottoman.

C’est en effet l’éternelle histoire. Toutes les fois que des mouvemens éclatent dans une des provinces ottomanes, c’est l’intégrité, ou, si l’on veut, ce qui reste de l’intégrité de l’empire des Osmanlis qui est en jeu. On sait comment ces insurrections orientales commencent, on ne sait jamais comment elles finissent, ou, plutôt, on le sait aussi, elles finissent par raviver l’idée des partages, par attirer les interventions