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qui s’organiseraient en Suisse, il ne pouvait demander au gouvernement fédéral des mesures qui auraient été une abdication de souveraineté. Il a pu du moins le comprendre en rencontrant aussitôt devant lui la résistance aussi modérée et aussi calme que ferme du gouvernement fédéral, qui, en offrant sans hésitation les garanties qu’on lui demandait, a maintenu sans jactance ses droits de souveraineté indépendante. Le terrible chancelier ne s’est pourtant arrêté qu’à demi, et il semble ne point vouloir en rester là dans ses tentatives de pression à l’égard de la république helvétique.

Au fond, à quoi se réduit cette querelle qui a déjà passé par plusieurs phases successives et qui n’a point dit son dernier mot ? L’Allemagne a un traité, qui date de 1876, par lequel la Suisse s’engage à reconnaître le droit de résidence et d’établissement aux Allemands munis d’un certificat d’origine et d’une attestation de moralité. La diplomatie de Berlin en conclut que la Suisse ne peut accorder l’hospitalité qu’aux Allemands qui ont leur certificat, qui portent pour ainsi dire l’estampille officielle. Il en résulterait que l’Allemagne resterait, jusqu’à un certain point, l’arbitre du droit d’asile dans les cantons suisses, la régulatrice de l’hospitalité helvétique pour ses nationaux. C’est justement ce que le gouvernement fédéral n’admet pas ; c’est le sens de la réponse que le ministre des affaires étrangères de Berne, M. Numa Droz, vient d’adresser au cabinet de Berlin. Le gouvernement de Berne entend bien respecter les conditions du traité à l’égard de ceux qui se présenteront avec le certificat officiel allemand ; il n’entend pas subordonner d’une manière générale le droit d’asile au bon plaisir des autorités allemandes. Il prétend garder sa liberté à l’égard de tous ceux qui cherchent un asile en Suisse, demeurer fidèle aux plus vieilles traditions de l’hospitalité nationale, sans décliner d’ailleurs les obligations et la responsabilité de la surveillance qu’on a le droit de lui demander. C’est évidemment l’interprétation la plus plausible du traité avec l’Allemagne aussi bien que des traités du même genre que la Suisse peut avoir avec d’autres puissances. Le chancelier, cependant, ne se rend pas, et à la dépêche suisse il répond en dénonçant purement et simplement le traité de 1876. A-t-il l’intention de compléter cette dénonciation par d’autres mesures restrictives dans les relations des deux pays ? Cela se peut. On dirait qu’il y a déjà un commencement d’hostilités de frontières, de vexations, devant lesquelles, d’ailleurs, les Suisses ne semblent pas jusqu’ici disposés à plier. Ce qu’il y a de plus grave, dans tous les cas, c’est cette attitude assez nouvelle, visiblement calculée, d’un puissant empire à l’égard d’une petite et fière nation dont l’indépendance et la neutralité ont été jusqu’à présent une garantie pour l’Europe.

Sans doute il y a aujourd’hui des incidens comme cette affaire suisse qui peut ne pas aller plus loin pour le moment et n’est pas moins une