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sa visite à l’empereur Guillaume à Berlin, mais qui, accablé d’un deuil encore si récent, paraît vouloir se refuser à tout ce qui serait apparat et ostentation. On s’occupe enfin de la visite que le tsar songerait à rendre au jeune empereur d’Allemagne, en échange de la visite que Guillaume II a faite à Peterhof il y a plus d’un an et qui ne paraît pas avoir laissé des souvenirs encourageans ; mais il y a ici encore, à ce qu’il semble, quelque mystère. Où aurait lieu l’entrevue, qui coïnciderait sans doute avec le voyage de la famille impériale de Russie à Copenhague ? L’empereur Alexandre III ira-t-il à Berlin ? Les deux souverains se rencontreront-ils à Kiel ou dans quelque autre ville des côtes, sans bruit, sans éclat ? Ce sera une politesse rendue. Il est douteux que l’entrevue éventuelle dont on parle puisse avoir une influence décisive sur la direction des affaires des deux empires, dans les conditions où la politique de l’Europe est engagée par les alliances de l’Allemagne avec l’Autriche. Vraisemblablement tout restera au même point. Alexandre III reviendra imperturbable dans ses résolutions à Pétersbourg et Guillaume II pourra achever ses promenades d’été en allant à Athènes pour le mariage d’une princesse de sa famille avec le jeune héritier du royaume de Grèce. Guillaume II pourra même au besoin passer par l’Italie, aller à Constantinople, puis, comme cela a été dit, revenir par l’Espagne : on ne voit pas que la paix en soit bien menacée, qu’il y ait rien jusqu’ici qui justifie les récentes paniques, la crainte d’explosions soudaines.

Est-ce à dire que les voyages princiers soient tout, même pour une saison d’été, dans la politique, qu’il n’y ait pas toujours dans les affaires de l’Europe des incidens d’une certaine importance, des élémens incandescens qui peuvent être un danger ? Assurément il y a toujours des incidens. Il y en a qui, sans être immédiatement menaçans, en gardant un caractère limité et peu grave en apparence, n’ont pas moins une certaine portée, une signification internationale ; il y en a surtout qui ne deviennent sérieux que parce qu’ils ont l’air d’avoir été provoqués avec intention, avec préméditation, comme cette querelle que M. de Bismarck a faite à la Suisse, à propos de ses réfugiés et de son droit d’asile. Le chancelier a visiblement cédé à un accès de prépotence impétueuse en prétendant imposer sa volonté à la Suisse, en la menaçant de ses représailles, en accompagnant ou en laissant accompagner son action diplomatique de commentaires qui dépassaient toute mesure. Il s’est laissé emporter par un premier mouvement d’irritation à la suite de la mésaventure d’un de ses agens de police, et il a fini par mettre en doute jusqu’aux traditions hospitalières de la Suisse, jusqu’à la neutralité même de la république des Alpes. Il s’est un peu calmé depuis, il est vrai : il a compris que, s’il était dans son droit, s’il pouvait même avoir l’appui de quelques autres puissances, tant qu’il se bornait à réclamer des garanties contre les complots révolutionnaires