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que la France a déjà eu treize constitutions, en rêvent une quatorzième, laquelle sera sûrement la constitution idéale, les sectaires qui partagent les hommes en boucs et en brebis, qui décident ce qu’il faut croire pour être digne de gouverner un peuple et qui excommunient les mécréans, le principe que la foi est plus précieuse que les œuvres, l’intolérance, la fureur de se prendre pour une église et de faire concurrence à celle qui baptise et confesse, telle est la cause de nos divisions et de nos inquiétudes, et nous avons travaillé contre nous.

La révolution a été une religion, et aujourd’hui encore, elle a ses prêtres, qui font le service du tabernacle et disent aux étrangers : « N’approchez pas, ou le feu du ciel tombera sur vous et vous consumera. » Mais ils ne sont qu’à moitié sincères. Pour dogmatiser en politique, il faut croire au Dieu du vicaire savoyard ; est-i un seul de nos modernes jacobins qui consentît à célébrer la fête de l’Etre suprême, un bouquet de violettes à sa boutonnière ? Les hommes de 89 étaient imprégnés de la philosophe de leur temps, qui n’est plus la nôtre. Les philosophes de la fin de ce siècle nous enseignent qu’en dehors des mathématiques qui n’ont jamais trompé personne, la méthode inductive est la meilleure et qu’elle nous apprend à douter de beaucoup de choses que nous tenions pour certaines. Ils nous enseignent aussi que les êtres ne se métamorphosent que par une succession de changemens insensibles, que le plus fortuné est celui qui a le mieux su s’adapter à son milieu, que les pires institutions furent bienfaisantes en leur temps, que les meilleures dégénèrent, se corrompent et font place à d’autres, qu’il n’est pas de principes absolus et sacrés, que les idées qui se manifestent à nous dans la nature et dans l’histoire ne s’y réalisent jamais parfaitement, que leurs créations les plus heureuses ne sont que des à-peu-près, que ces infatigables ouvrières ne font pas ce qu’elles veulent, mais ce qu’elles peuvent, que la loi de tout ce qui vit est de se sentir incomplet et de s’aimer tel qu’il est.

Un évolutionniste d’aujourd’hui ne voit pas les choses humaines avec les mêmes yeux qu’un jacobin déiste d’autrefois. Ceux qui se flattent de sauver la France en laïcisant les hôpitaux lui rendraient un meilleur service en sécularisant la révolution, et dans l’intérêt même de la cause qu’ils défendent, ils feraient bien de ne plus prêcher, de ne plus dresser autel contre autel, de laisser l’église vaquer paisiblement à ses affaires qui ne sont pas les leurs, et de jeter une bonne fois aux orties leur bonnet rouge et leur froc.


G. VALBERT.