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les couches profondes, et l’âme d’un peuple leur ayant dit ses secrets, elles représentent la volonté générale. « C’est nous, disent-elles qui sommes le droit et la justice. » Malheureusement une nation composée d’élémens infiniment divers et travaillée par des partis opposés n’a pas toujours une volonté générale. C’est la difficulté contre laquelle se débat le jacobinisme, et il ne la résout pas, il la tranche. L’état se chargera de créer lui-même cette volonté générale dont il ne devait être que l’interprète et le très humble serviteur, et c’est ainsi que la liberté absolue se change en tyrannie.

C’est par l’éducation civique qu’un gouvernement parvient à façonner tout un peuple à sa ressemblance et lui inculque les dogmes nouveaux que rejettent les impies. L’assemblée constituante avait pensé « à créer une instruction publique commune à tous les citoyens, gratuite à l’égard des parties d’enseignement indispensables pour tous les hommes. » Mais les jacobins aiment à brusquer les choses, et l’éducation étant un ouvrage de longue haleine, ils anticiperont sur ses effets en mettant hors la loi les dissidens. Il y a désormais des délits d’opinion, des tribunaux chargés d’en connaître, et à défaut d’actes à poursuivre, on sévit contre les intentions. On fera des lois contre les suspects, et sera tenu pour suspect tout homme que les intérêts particuliers de la caste à laquelle il appartient doivent prédisposer à mal penser. « Ceux qui n’ont voulu voir en Robespierre, a dit très justement M. Goumy, qu’un cuistre ulcéré, qu’un bellétriste envieux et jaloux, se trompent et le calomnient ; sa conduite eut des motifs plus hauts… Robespierre nous montre en lui un homme chez qui le dévot avait étouffé tout le reste, il appartenait à son Dieu et n’appartenait qu’à lui, et quel Dieu ? Un certain idéal qu’il s’était fait de la révolution et de la république. À cet esprit étrangement borné la guillotine apparut comme l’instrument sacré de la purification nationale. » Deux partis sont en présence : l’un soupire après le rétablissement de l’ancien régime et des vieux abus de toutes les institutions abolies ; l’autre trouve son bonheur et sa joie dans le triomphe définitif de la révolution. C’est le parti des regrets et le parti de l’espérance ; et l’espérance, tenant les regrets pour des crimes, les châtie par la main du bourreau.

Il ne suffit pas aux religions intolérantes d’être reconnues comme religion d’état et de diriger le gouvernement. Elles veulent régner sur les esprits, posséder les cœurs, marquer les consciences à leur chiffre, régler les mœurs, les occupations, les passe-temps, l’économie domestique et jusqu’au costume. Elles se mêlent de tout, elles ne méprisent aucun détail, et sans cesse elles prescrivent ou