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la France eût changé, que cette température modérée, pour laquelle nous nous sentons nés, eût tété remplacée par ces chaleurs torrides qui donnent à la végétation des formes magnifiques on monstrueuses, et qui, dans les âges antédiluviens, ont produit ces fougères colossales, grandes comme des arbres, dont nous nous servons encore pour nous chauffer.

L’armée prussienne, quand elle envahit la France en 1792, éprouva de grands étonnemens et de grandes déconvenues. Comme l’a raconté Goethe, qui fit la campagne pour son instruction personnelle, on s’était flatté de vaincre sans coup férir, de ne faire qu’une promenade militaire. On entrait dans un pays profondément troublé où tout était mis en confusion ; on se promettait de trouver partout des alliés, des complices, des populations lasses, impatientes d’être délivrées de leurs nouveaux maîtres et se portant avec joie à la rencontre de l’envahisseur. Verdun se rendit, et on se disait les uns aux autres : « Vous voyez bien ! » Mais on eut le chagrin d’apprendre que le commandant de la place, Beaurepaire, n’avait pas voulu survivre à son honneur. Il avait écrit au représentant Choudieu : « Assurez le corps législatif que, lorsque l’ennemi sera maître de Verdun, Beaurepaire sera mort. « Il avait tenu parole, il s’était brûlé la cervelle. Bientôt après, Delaunay d’Angers proposait à l’assemblée de placer sa cendre au Panthéon, et le théâtre de la Nation représentait l’Apothéose de Beaurepaire.

Son exemple fut contagieux. Quand les Prussiens entrèrent dans Verdun, un soldat, qui avait refusé de capituler, déchargea son fusil sur un lieutenant de hussards, le comte de Henkel. On l’arrêta incontinent ; mais, trompant la surveillance de ses gardiens, il gravit le parapet d’un pont et, se précipita dans la Meuse, où il trouva la mort. Ce nouvel incident parut de fâcheux augure, ahnungsvoll et de ce jour ou alla de mécompte en mécompte. On ne fut pas battu à Valmy ; mais, pour décider Brunswick à la retraite, il lui suffit de s’être heurté contre une année dont l’attitude résolue et la ferme résistance avaient dissipé ses dernières illusions. Le soir même de la bataille, Goethe prononçait devant un groupe d’officiers décontenancés et moroses cette parole fameuse, tant de fois répétée : « Aujourd’hui, messieurs, a commencé une nouvelle époque de l’histoire du monde, et chacun de vous pourra dire : J’y étais. »

Les religions ont leurs héros et leurs martyrs ; elles ont aussi leurs juges et leurs inquisiteurs. Les dogmes sont des vérités sacrées, et qui les nie se rend coupable d’impiété. Les assemblées révolutionnaires sont des conciles, à cela près que ce n’est pas le Saint-Esprit qui les visite. ; elles cherchent leurs inspirations dans