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toujours respectable, elle serait toujours respectée, et en même temps, les individus y jouiraient de libertés peu connues à Sparte, même à Athènes, et nécessaires aux Français de ce siècle, qui ne sauraient en être privés sans se sentir atteints dans leur dignité d’hommes. Cela ne s’est jamais vu ; grâce à nous, cela se verra. A chacun son métier ; vous avez toujours été un éloquent logicien, rongé par la mélancolie, et vous avez toujours pensé qu’il n’y a de bon que ce qui ne peut être ; aussi n’avez-vous fait que des livres. Il n’y a que les optimistes qui fassent des révolutions. »


III

Ces optimistes sont moins des philosophes, des métaphysiciens que des croyans et les apôtres d’une foi nouvelle, les missionnaires d’un nouvel évangile. La philosophie du XVIIIe siècle s’est transformée en religion ; les cœurs sensibles ne peuvent se passer d’un Dieu qui leur ressemble et les rassure. Leur constitution étant destinée à opérer une réforme sociale, ces croyans ont inscrit au frontispice tous les droits de l’homme. Ils les déclarent non-seulement inaliénables, imprescriptibles, mais sacrés, et ils les gravent sur l’airain en invoquant l’Être suprême, celui qui fait naître tous les hommes libres, égaux, raisonnables et bons. Voilà le dogme ; quel sera le culte ? Ils ont décidé que des fêtes nationales seront instituées « pour conserver à jamais le souvenir de la révolution, entretenir la fraternité entre les citoyens, et les attacher à la constitution, à la patrie et aux lois. »

On les a souvent blâmés d’avoir entrepris sur les droits de l’église, de se l’être aliénée. Il eût été d’une sage politique de ne pas se brouiller avec elle, de la gagner insensiblement au nouvel ordre de choses ; mais ils n’étaient pas des politiques ; ils s’attribuaient une mission, ils ont voulu la remplir. Ils eurent pour alliés les jansénistes et leurs rancunes ; qu’avaient-ils besoin d’alliés ou d’incitateurs ? Ils cédaient à un irrésistible entraînement. Le dogme du péché originel, de la chute, de la déchéance de l’homme leur faisait horreur, et ils ont opposé dogme à dogme, ils ont élevé autel contre autel. C’est le trait d’union entre eux et les jacobins, leurs terribles et sanglans héritiers. Quoi qu’on en dise, 89 a fatalement engendré 93, qui lui ressemble si peu. Toutes les religions s’établissent par l’enthousiasme et la terreur. Elles promettent et ouvrent le ciel ; ne vous sentez-vous pas attirés, elles vous feront entrer de force.

L’autel révolutionnaire, vous le verrez au musée des Tuileries ; il est entouré de candélabres, et un coq, comme on l’a dit,