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surprise ; après quelques mois de séjour, il ne s’étonne plus ; architecture, costumes, mœurs, tout ce qui lui paraissait étrange lui paraît tout naturel. Mous aussi, accoutumés comme nous le sommes à la société créée par la révolution ; nous la trouvons si naturelle que nous ne songeons plus à bénir ceux qui Pont construite à la sueur de leur front et qui en ont arrosé les fondations de leur sang.

Il était trop tard pour nous demander de célébrer avec enthousiasme le jour où s’ouvrirent les états-généraux, le serment du Jeu de Paume, la prise de la Bastille ; et, d’autre part, il était trop tôt. Blasés sur les avantages que nous a procurés la révolution, nous sommes très sensibles à ce qui nous manque. Les hommes de 1789, nous dit-on, ont fait de nous un peuple libre. Nous avons connu les excès de la liberté, et c’est pour le principe d’autorité que nous sommes inquiets. Nous nous plaignons depuis bien des années de n’être pas assez gouvernés, nous vivons dans une sorte d’anarchie qui a ses douceurs, mais il y a des poisons qui sont doux, et nous serions heureux d’avoir un gouvernement qui sût bien ce qu’il veut et qui sût le vouloir. C’est grâce aux hommes de 1789, nous dit-on encore, que la France est devenue l’arbitre et la maîtresse de son sort. Malheureusement, nous avons tant de peine à fixer nos destinées, nous nous entendons si peu sur ce qu’il convient de faire de nous, il y a tant d’incertitude dans notre avenir que beaucoup d’entre nous envient les peuples à qui quelqu’un se charge de montrer leur chemin, et sont tentés de croire qu’il y a du bonheur dans l’obéissance : « Avant de fêter la révolution, disent-ils, et de nous féliciter de ce que nous sommes aujourd’hui, attendons de savoir ce que nous serons demain. »

Parmi les livres composés et publiés à l’occasion du centenaire, celui de M. Goumy a été fort remarqué, et assurément, il méritait de l’être[1]. Les uns l’ont vivement goûté ; d’autres ont reproché à l’auteur d’avoir l’esprit trop chagrin, trop de penchant au pessimisme et plus de goût pour les réquisitoires passionnés que pour les résumés impartiaux d’un président de cour. Toute la partie de la France du centenaire consacrée à dresser notre bilan, à peindre et à critiquer notre situation présente, respire une haute raison, un généreux bon sens, accompagné d’une éloquence amère, mise au service des vérités tristes. Les premiers chapitres du volume contiennent un résumé succinct de l’histoire de la révolution. On peut se plaindre que cette histoire soit trop sommaire, que M. Goumy ait simplifié jusqu’à l’excès des questions fort

  1. La France du centenaire, par Edouard Goumy. Paris, 1889 ; Hachette.