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Pour mettre des bornes à ce déluge législatif, les constitutions réformées ont élevé toute sorte de barrières. Ce qu’il fallait réprimer tout d’abord, c’était l’entraînement aux dépenses excessives exigeant de nouveaux impôts, et surtout de continuels emprunts. C’est là un des plus graves défauts du régime parlementaire. Chaque groupe de députés réclame de l’argent dans l’intérêt de la circonscription qu’il représente, et, sous peine de succomber sous la coalition des appétits frustrés, il faut bien que le ministre leur accorde quelque satisfaction. Puis arrive toute une série d’exigences nouvelles en vue « de favoriser le progrès. » Le trésor public est mis en coupe réglée ; le déficit se creuse ; les contribuables, de plus en plus frappés, ne savent à qui s’en prendre et s’irritent sourdement ; le prestige du système représentatif est ébranlé.

Les états américains de l’Ouest, les plus maltraités sous ce rapport, ont été les premiers à attaquer le mal dans sa racine. Dès 1846. la constitution de l’Iowa interdit à la législature d’accorder des subsides à des sociétés ou des corporations et de contracter aucune dette nouvelle, même pour des travaux publics ou des objets d’utilité générale, sauf une dette flottante de 100,000 dollars, en attendant la rentrée des impôts. La plupart des autres états suivirent successivement cet exemple. En 1874, l’état de New-York, en révisant sa constitution, interdit absolument tout nouvel emprunt, sauf si le corps électoral le vote directement en vue d’un objet déterminé, et des restrictions du même genre sont maintenant en vigueur dans presque tous les états. C’est le régime appliqué partout en Suisse : toute dépense nouvelle, à moins qu’elle ne soit très minime, doit être approuvée par le peuple. En France, les conseils municipaux de deux localités, Cluny et Riom, ayant besoin de faire un emprunt pour construire l’une un marché, l’autre une caserne, ont soumis le projet au vote populaire ; et, dans les deux cas. celui-ci s’est prononcé pour la négative.

Les Américains ont trouvé un moyen plus simple encore de se préserver des effets d’un mal nécessaire, la réunion des chambres. Autrefois elles siégeaient, comme en Europe, chaque année. Aujourd’hui, dans tous les états, sauf dans cinq faisant partie du groupe des treize états primitifs, il n’y a plus de session du parlement que tous les deux ans, et chacun s’en félicite. Le gouverneur d’état disait à M. Bryce : « Nos législateurs sont certes de très braves gens ; mais c’est un soulagement universel quand nous les voyons rentrer dans leurs foyers. » On demande à un autre gouverneur s’il n’y a pas d’inconvénient à ne réunir les chambres