Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/644

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I

Les trente-huit états qui, en ce moment, constituent l’Union américaine ont chacun, on le sait, leur constitution particulière que le peuple a votée et qu’il peut amender, en suivant certaines prescriptions, assez compliquées pour qu’il ne soit pas fait usage de ce droit à la légère. Toutes ces constitutions étaient, dans le principe, calquées sur le modèle de celle de la Fédération. Elles avaient pour but essentiel de garantir aux citoyens ce que l’on appelait les droits naturels et les libertés nécessaires : liberté de la parole, de la presse, de renseignement, des cultes, égale admissibilité aux emplois, égalité devant la loi, habeas corpus, le jury ; et tous ces droits étaient déclarés sacrés, inaliénables et placés au-dessus de toute loi et de toute entreprise de l’autorité. Ce que les auteurs de ces constitutions avaient eu surtout en vue, en Amérique comme en Europe, c’était d’opposer une barrière infranchissable aux entreprises et à l’arbitraire du pouvoir exécutif ; mais on n’avait pas songé à limiter l’activité du pouvoir législatif. On s’aperçut bientôt que de ce côté existait un danger non prévu, mais très réel, surtout pour la bourse des contribuables. On vit les législatures des états particuliers contracter des dettes insensées et parfois les répudier, fonder des banques sans base sérieuse, multiplier les fonctions pour y placer les favoris du groupe dominant, accorder des faveurs à certaines corporations privilégiées, construire des ponts et des routes à l’usage des meneurs politiques, accorder des concessions de chemins de Ier uniquement pour enrichir les lanceurs d’affaires, en un mot, les chefs des différens partis, mettre le trésor au pillage, parfois successivement, d’autres fois de connivence, et de façon à faire tous fortune aux dépens du public.

Heureusement en Amérique, quand un mal est nettement aperçu et mis au jour, il y est appliqué des remèdes prompts et énergiques. Celui qui fut adopté ici consista à limiter de plus en plus, par des articles des constitutions révisées, l’activité malfaisante des chambres. Comme le dit très bien M. Albert Shaw, le peuple reprit en main, dans une mesure de plus en plus grande, le pouvoir législatif, en imposant au parlement des restrictions très grandes relatives à la durée des sessions et aux objets soumis aux décisions des chambres.

MM. Bryce et Shaw nous font connaître les différens moyens que consacrent les constitutions des états particuliers pour brider l’activité des parlemens. Tout d’abord, il y a le système des deux chambres qu’on rencontre partout ; car, en Amérique, on est plus que