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Il descendit à la hâte tous les degrés et toucha le sol. Ses pieds avaient oublié la terre ; ils chancelaient. Mais sentant sur lui l’ombre de la colonne maudite, il les forçait à courir. Tout dormait. Il traversa sans être vu la grande place entourée de cabarets, d’hôtelleries et de caravansérails et se jeta dans une ruelle qui montait vers les collines libyques. Un chien, qui le poursuivait en aboyant, ne s’arrêta qu’aux premiers sables du désert. Et Paphnuce s’en alla par la contrée où il n’y a de route que la piste des bêtes sauvages. Laissant derrière lui les cabanes abandonnées par les faux monnayeurs, il poursuivit toute la nuit et tout le jour sa fuite désolée. Enfin, près d’expirer de faim, de soif et de fatigue et ne sachant pas encore si Dieu était loin, il découvrit une ville muette qui s’étendait à droite et à gauche et s’allait perdre dans la pourpre de l’horizon. Les demeures, largement isolées et pareilles les unes aux autres, ressemblaient à des pyramides coupées à la moitié de leur hauteur. C’étaient des tombeaux. Les portes en étaient brisées et l’on voyait dans l’ombre des salles luire les yeux des hyènes et des loups qui nourrissaient leurs petits, tandis que les morts gisaient sur le seuil, dépouillés par les brigands et rongés par les bêtes. Ayant traversé cette ville funèbre, Paphnuce tomba exténué devant un tombeau qui s’élevait à l’écart près d’une source couronnée de palmiers. Ce tombeau était très orné, et comme il n’avait plus de porte, on apercevait du dehors une chambre peinte, dans laquelle nichaient des serpens.

— Voici, soupira-t-il, ma demeure d’élection, le tabernacle de mon repentir et de ma pénitence.

Il s’y traîna, chassa du pied les reptiles et demeura prosterné sur la dalle pendant dix-huit heures, au bout desquelles il alla à la fontaine boire dans le creux de sa main. Puis il cueillit des dattes et quelques tiges de lotus dont il mangea les graines.

Pensant que ce genre de vie était bon, il en fit la règle de son existence. Depuis le matin jusqu’au soir, il ne levait point son front de dessus la pierre.

Or, un jour qu’il était ainsi prosterné, il entendit une voix qui disait :

— Regarde ces images afin de t’instruire.

Alors, levant la tête, il vit sur les parois de la chambre des peintures qui représentaient des scènes riantes et familières. C’était un ouvrage très ancien et d’une merveilleuse exactitude. On y remarquait des cuisiniers qui soufflaient le feu, en sorte que leurs joues étaient toutes gonflées ; d’autres plumaient des oies ou faisaient cuire des quartiers de mouton dans des marmites. Plus loin, un chasseur rapportait sur ses épaules une gazelle percée de flèches. Là, des paysans s’occupaient aux semailles, à la moisson, à la récolte.