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qui, après avoir vomi du sang, dormait depuis trois jours. Elle semblait une image de cire et ses parens, qui la croyaient morte, avaient posé une palme sur sa poitrine. Paphnuce ayant prié Dieu, la jeune fille souleva la tête et ouvrit les yeux.

Comme le peuple publiait partout les miracles opérés par le saint, les malheureux atteints du mal que les Grecs nomment le mal divin accouraient de toutes les parties de l’Égypte, en légions innombrables. Dès qu’ils apercevaient la stèle, ils étaient saisis de convulsions, se roulaient à terre, se cabraient, se mettaient en boule. Et, chose à peine croyable ! les assistans, agités à leur tour par un violent délire, imitaient les contorsions des épileptiques. Moines et pèlerins, hommes, femmes, se vautraient, se débattaient pêle-mêle, les membres tordus, la bouche écumeuse, avalant de la terre à poignées et prophétisant. Et Paphnuce, du haut de sa colonne, sentait un frisson lui secouer les membres et criait vers Dieu :

— Je suis le bouc émissaire et je prends en moi toutes les impuretés de ce peuple, et c’est pourquoi, Seigneur, mon corps est rempli de mauvais esprits.

Chaque fois qu’un malade s’en allait guéri, les assistans l’acclamaient, le portaient en triomphe et ne cessaient de répéter :

— Nous venons de voir une autre fontaine de Siloé. Déjà des centaines de béquilles pendaient à la colonne miraculeuse ; des femmes reconnaissantes y suspendaient des couronnes et des images votives. Des Grecs y traçaient des distiques ingénieux, et comme chaque pèlerin venait y graver son nom, la pierre fut bientôt couverte, à hauteur d’homme, d’une infinité de caractères latins, grecs, coptes, puniques, hébreux, syriaques et magiques.

Quand vinrent les fêtes de Pâques, il y eut dans cette cité du miracle une telle affluence de peuple que les vieillards se crurent revenus aux jours des mystères antiques. On voyait se mêler, se confondre sur une vaste étendue la robe bariolée des Égyptiens, le burnous des Arabes, le pagne blanc des Nubiens, le manteau court des Grecs, la toge aux longs pli des Romains, les sayons et les braies écarlates des barbares et les tuniques lamées d’or des courtisanes. Des femmes voilées passaient sur leur âne, précédées d’eunuques noirs qui leur frayaient un chemin à coups de bâton. Des acrobates, ayant étendu un tapis à terre, faisaient des tours d’adresse et jonglaient avec élégance devant un cercle de spectateurs attentifs.

Toute cette foule brillait, scintillait, poudroyait, tintait, clamait, grondait. Les imprécations des chameliers qui frappaient leurs bêtes, les cris des marchands qui vendaient des amulettes contre la