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visions formées soit par toi, Dieu splendide, soit par ton adversaire.

Un homme nouveau était en lui et maintenant il raisonnait avec Dieu et Dieu ne se hâtait point de l’éclairer. Ses nuits n’étaient plus qu’un long rêve et ses jours ne se distinguaient point des nuits. Un matin, il se réveilla en poussant des soupirs, tels qu’il en sort, à la clarté de la lune, des tombeaux qui recouvrent les victimes des crimes. Thaïs était venue, montrant ses pieds sanglans ; et tandis qu’il pleurait, elle s’était glissée dans sa couche. Il ne lui restait plus de doutes : l’image de Thaïs était une image impure.

Le cœur soulevé de dégoût, il s’arracha de sa couche souillée et se cacha la face dans les mains, pour ne plus voir le jour. Les heures coulaient sans emporter sa honte. Tout se taisait dans la cellule. Pour la première fois, depuis de longs jours, Paphnuce était seul. Le fantôme l’avait enfin quitté et son absence même était épouvantable. Rien, rien pour le distraire du souvenir du songe. Il pensait, plein d’horreur :

— Comment ne l’ai-je point repoussée ? Comment ne me suis-je pas arraché de ses bras froids et de ses genoux brûlans ? Il n’osait plus prononcer le nom de Dieu près de cette couche abominable et il redoutait que, sa cellule étant profanée, les démons n’y pénétrassent librement à toute heure. Ses craintes ne le trompaient point. Les sept petits chacals, retenus naguère sur le seuil, entrèrent à la file et s’allèrent blottir sous le lit. À l’heure de vêpres, il en vint un huitième dont l’odeur était infecte. Le lendemain, un neuvième se joignit aux autres et bientôt il y en eut trente, puis soixante, puis quatre-vingts. Ils se faisaient plus petits à mesure qu’ils se multipliaient et, n’étant pas plus gros que des rats, ils couvraient l’aire, la couche et l’escabeau. Un d’eux, avant sauté sur la tablette de bois placée au chevet du lit, se tenait les quatre pattes réunies sur la tête de mort et regardait le moine avec des yeux ardens. Et il venait chaque jour de nouveaux chacals.

Pour expier l’abomination de son rêve et fuir les pensées impures, Paphnuce résolut de quitter sa cellule, désormais immonde, et de se livrer au fond du désert à des austérités inouïes, à des travaux singuliers, à des œuvres très neuves. Mais avant d’accomplir son dessein, il se rendit auprès du vieillard Palémon, afin de lui demander conseil.

Il le trouva qui, dans son jardin, arrosait ses laitues. C’était au déclin du jour. Le Nil était bleu et coulait au pied des collines violettes. Le bonhomme marchait doucement pour ne pas effrayer une colombe qui s’était posée sur son épaule.

— Le Seigneur, dit-il, soit avec toi, frère Paphnuce ! Admire sa bonté : il m’envoie les bêtes qu’il a créées pour que je m’entretienne