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l’âge et l’exercice du pouvoir manifesteront, ne montre encore que ses beaux côtés, l’ardeur, la finesse, la grâce souriante et serviable, le désir des grands services et l’amour de la gloire. Il est empressé, séduisant, charmant, dans la gravité ecclésiastique d’une jeunesse déjà mûre.

Justement, le gouvernement d’une reine ouvre devant ce jeune homme, devant ce prêtre, la voie rapide de la faveur ; faveur actuellement prodiguée à des étrangers indignes. Mais il n’est pas si difficile de les remplacer, de reprendre, à un point de vue français, la politique étroitement royale qui est naturellement celle des favoris.

Si cette entreprise est facile à concevoir, que d’habileté, de persévérance, de prudence pour l’achever ! Il faut jouer un jeu si serré et si dissimulé que personne ne s’aperçoive des desseins obscurs qu’on ose à peine s’avouer à soi-même.

L’occasion s’est offerte à Richelieu. Il l’a saisie. Le voilà rentré à Paris, portant en lui l’amas confus de ses aspirations, de ses projets et de ses rêves. Son activité, son flair, sa souplesse sont en jeu. Il hume l’air de la cour. C’est ici qu’il va falloir dompter sa propre nature, la surveiller sans cesse. Il faut se faire connaître, montrer ce qu’on est et ne pas le montrer trop ; se couvrir, mais avec un visage toujours ouvert et charmant.

Se taire, dissimuler, attendre, ce sont ses premiers jeux. Plaire, émouvoir, conquérir, ce sont ses premiers succès. Il se jette dans la mêlée avec une résolution contenue, qui se domine jusque dans l’ardeur du combat.

Comme il est adroit, comme il est prompt, comme il est beau, ce jeune et gracieux lutteur, fils de Paris, fils de la province, fils de la France, qui va paraître dans une grande assemblée, se faire écouter par les trois ordres, obtenir la confiance du premier d’entre eux, étonner la cour, fasciner une reine, s’emparer enfin du pouvoir ; — de ce pouvoir tant désiré, qui n’est encore que le but, mais qui, une fois saisi, deviendra l’instrument !


GABRIEL HANOTAUX.