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parvenu jusqu’à nous. Il garde, dans le fond comme dans la forme, de nombreuses traces de sa collaboration. En ce qui concerne les privilèges ecclésiastiques, le souci de la décence et du respect dans les actes religieux, l’obéissance au concile de Trente, le désir de voir s’étendre l’instruction des prêtres, l’abolition des duels, sur tous ces points, les cahiers du clergé de Poitou sont d’accord avec les pensées personnelles de l’évêque de Luçon. Ils sont aussi en conformité absolue avec les doctrines et les préjugés du temps. Richelieu, mandataire de ses collègues et doses égaux du clergé poitevin, s’élève peu au-dessus d’eux. Si, déjà, il avait conçu quelque vague idée de son œuvre future, il se taisait. Pour le moment, il fallait réussir, et pour réussir, il fallait parler le langage des hommes dont il sollicitait la confiance.

Le 4 septembre 1614, la rédaction définitive du cahier lui fut remise, ainsi qu’à son collègue, le doyen de Saint-Hilaire. Le temps pressait d’ailleurs. La réunion des états, d’abord indiquée pour Sens, avait été plusieurs fois retardée ; on venait de la fixer pour Paris, dans les premiers jours d’octobre.

Le jeune évêque, après avoir fait ses adieux à tous ceux qui l’avaient si généreusement servi dans cette circonstance, monta en carrosse, et accompagné du doyen de Saint-Hilaire, collègue peu embarrassant, il refit en hâte ce chemin que, six ans auparavant, il avait parcouru en sens contraire.

Le séjour qu’il avait fait dans la province n’était pas perdu. C’était cette province qui, maintenant, le choisissait, qui le désignait à la cour. Elle avait prolongé assez longtemps son influence sur lui pour qu’il en gardât l’empreinte toute sa vie.


VII. — LE RETOUR A PARIS.

Au moment où il rentre à Paris, ce jeune homme, que la vie politique va saisir, pétrir, déformer est encore intact, droit, frais, tel, ou à peu près, qu’il est sorti des mains de la nature ; il respire encore l’arôme du champ paternel. Il n’a pas trente ans.

Sur un grand corps maigre, droit, élancé, une figure longue et pâle, une chevelure noire, tombant en boucles abondantes jusque sur le col, un nez long, fort, busqué, se rattachant, par deux sourcils élevés, comme étonnés, A un front imposant et grave ; une bouche charmante, pleine à la fois de volontés et de sourires, telles sont les principales lignes d’une physionomie dont la forte construction aquiline se dissimule encore sous les grâces de la