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heure entre ces deux esprits. Ils s’accompagnèrent dans toutes les vicissitudes de la fortune. Ils savaient tout l’un de l’autre. Ils portaient sur les hommes et sur les choses un même jugement ; Richelieu, pourtant, plus précis, plus pratique, avec quelque chose de dominateur, une clarté et une gaité d’homme d’action ; le père Joseph, plus ténébreux, plus muet, embrassant plus encore peut-être, mais avec une conception moins nette du possible ; couvrant ses desseins si vastes, ses menées si complexes, ses voies si tortueuses, de l’humilité réelle du capucin ; travaillant durant toute sa vie à je ne sais quelle chimère de croisade qui ne pouvait aboutir, mais, entre temps, se soumettant volontiers à l’exécution des volontés de son ami et réunissant la Lorraine et l’Alsace à la France.


Quel que dût être l’avenir de tous ces hommes éminens qu’une même profession, un même séjour, des goûts analogues, des intérêts communs rapprochaient, on croira facilement que la vigoureuse intelligence de l’évêque de Luçon était appréciée par eux à sa juste valeur. On le considérait déjà, malgré sa jeunesse, comme une lumière de l’Église ; on comptait sur lui pour illustrer ce Poitou qui, pour la plupart d’entre eux, était la terre d’origine.

Poitiers, qui s’enorgueillissait encore, à cette date, de son université, de l’affluence des étudians étrangers, du goût de sa bourgeoisie pour les lettres et les sciences, Poitiers commençait à faire au commensal de son évêque un cortège d’approbation et d’honneur. Les Citoys, les Pidoux, les Choisnin, médecins, littérateurs, avocats, les Sainte-Marthe, les Bouthillier, à la fois personnages publics et hommes de haut savoir, les Blacvod, les Barclay, professeurs étrangers, appelés de loin par l’illustration de l’enseignement et par les faveurs dont il était entouré, tous ces hommes s’attachaient au jeune évêque, s’ingéniaient à tirer l’horoscope de sa fortune, escomptaient peut-être déjà ses futures bonnes grâces.

C : est au milieu de cette réunion de solides esprits que s’écoulent les années de l’évêché. Richelieu se livre, en compagnie de ces ecclésiastiques, de ces professeurs, à de vastes études qui forment en lui, à la fois, le théologien et le politique. Il développe ses aptitudes à la controverse, à la polémique écrite et parlée. Il prépare par une lecture immense, et dont les traces sont parvenues jusqu’à nous, ces grands ouvrages de théologie dont la rédaction fut toujours pour lui un loisir grave, un repos fortifiant, une consolation dans des temps d’épreuves.

Richelieu reçoit ainsi à Poitiers une nourriture intellectuelle qui,