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pour découvrir ses adversaires, pour les battre en les prévenant. Il avait l’imagination ardente et l’esprit froid ; il était passionné et désintéressé ; fait pour commander, il savait obéir. C’était un homme précieux dans un temps où les divers ordres se disputaient les succès de la polémique, de la propagande et du confessionnal. En grattant la crasse du capucin, on découvre en lui l’homme d’entreprises et l’espèce de grand aventurier qu’il était au fond. Il ne rêvait qu’à de grandes choses, parfois chimériques. Il parlait tous les langages, jouait tous les personnages, était propre aux œuvres religieuses comme aux œuvres politiques.

Sa valeur se fit bientôt connaître et ses supérieurs l’envoyèrent au fort du combat, là où s’étaient engagées les plus chaudes et les plus glorieuses mêlées, dans ce Poitou qu’il connaissait, à la porte de ce Saumur qui avait pour gouverneur le plus illustre champion du protestantisme, Duplessis-Mornay.

A partir de l’année 1607, le père Joseph manœuvre sur ce terrain comme sur un champ de bataille. Chinon est son quartier-général. De là il rayonne sur Saumur, Châtellerault, Poitiers, Fontenay, Fontevrault, Loudun, Angers, se portant partout en personne, surveillant tous les combats et y prenant sa part ; d’une main, ébranlant la citadelle de l’hérésie, et, de l’autre, restaurant les remparts de la véritable religion.

Il lie bientôt connaissance avec ceux qui luttent pour la même cause, avec les évêques de Poitiers et de Luçon. Dès février 1609, celui-ci est en relations avec les capucins de Fontenay ; il les engage à prêcher le carême à Loudun, les prie de venir faire à Luçon même « les prières des quarante heures. » C’est probablement à cette date qu’il faut faire remonter l’origine des relations du futur cardinal et de la future éminence grise.

Dès lors, en effet, ils sont tous deux mêlés à une affaire importante, qui réclama pendant plusieurs années leurs soins, et c’est justement la réformation du monastère de Fontevrault.

Fontevrault avait pour abbesse Éléonore de Bourbon, tante de Henri IV. Mais le pouvoir effectif était passé, à la suite de démêlés assez obscurs, entre les mains d’Antoinette d’Orléans, nommée, dès 1604, coadjutrice. Veuve à vingt-huit ans de Charles-Albert de Gondi, marquis de Belle-Isle, elle avait pris le voile par une sorte de coup de tête.

C’était un caractère singulier, rude, autoritaire, qu’échauffait une dévotion ardente et je ne sais quel désir de se signaler par des vertus excessives. Elle avait longtemps refusé de quitter le couvent des Feuillantines de Toulouse pour prendre la direction du monastère de Fontevrault, et, à peine était-elle arrivée dans