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jour de Pâques devant le roi ; par les termes mêmes de la lettre que Richelieu lui écrit pour s’excuser, on voit que celui-ci considérait déjà la chose comme toute naturelle.

Les personnes compétentes avaient, en général, une bonne opinion des mérites oratoires de l’évêque de Luçon. Lors de la mort de Henri IV, le doyen de Luçon, Bouthillier, de séjour à Paris, regrette qu’on ne lui ait pas confié le soin de prononcer l’oraison funèbre du défunt. « Eussent esté actions dignes de vous, lui écrit-il, si vous vous fussiez trouvé ici. » A la même époque, ce même doyen, écrivant à Richelieu, lui parle avec joie « de la réputation que ses mérites lui ont acquise par toute la France. » C’est l’avis de du Perron lui-même, et le complaisant abbé ne manque pas d’en prévenir son cher évêque : « M. le cardinal du Perron fait paroître en toute occasion l’estime qu’il fait de vous… Quelqu’un étant venu à vous nommer parmi les jeunes prélats et à vous louer, selon la réputation que vous avez acquise, M. le cardinal dit lors qu’il ne vous falloit point mettre entre les jeunes prélats ; que les plus vieux dévoient vous céder et que, pour lui, il en désiroit montrer l’exemple aux autres… » Il suffit de rappeler enfin, pour montrer combien cette opinion était unanimement partagée, que l’ordre du clergé réuni, en 1614, dans l’assemblée des états-généraux, allait confier bientôt à l’évêque de Luçon la mission de parler au nom de tout le corps ecclésiastique.

La haute idée que l’on se faisait généralement des mérites oratoires de Richelieu paraît donc sérieusement établie. Mais il faut reconnaître que le goût de l’époque était loin d’être épuré. Il restait encore assez de la barbarie du moyen âge et du pédantisme de la renaissance, pour qu’un bon orateur du temps de Henri IV fût très éloigné de la perfection du genre. Lingendes n’avait pas encore paru. Du Perron, Richeome, Cotton, tenaient les oreilles de la cour et de la ville. La plus grande louange était pour les plus compliqués, les plus chargés d’érudition fastueuse ou de pointes ridicules. La vigueur grossière et parfois acérée des prédicateurs de la Ligue avait fait place à la sécheresse pénible et ampoulée des premiers orateurs de cour. On mêlait volontiers, dans un discours, toute la mythologie profane à l’hagiographie chrétienne, la médecine à l’histoire, Pline à saint Augustin. Nous voyons, dans un seul et même sermon, Jupiter, Sémélé et le colosse de Rhodes accourir à l’appel du prédicateur, pour expliquer aux fidèles le mystère de la nativité du Christ.

C’était la mode. Richelieu n’échappe pas à cette influence. Il nous est resté de lui quelques rares sermons. Si ce n’était la bouche qui les prononça, on ne pourrait les lire.