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et isolé au milieu de Jérusalem sujette des Nations. « Jéhova, tu me connais ; souviens-toi de moi : regarde-moi, venge-moi de ceux qui me persécutent. Ne m’abandonne point à force de patienter. Vois que c’est pour toi que je souffle l’opprobre. Quand je rencontrais tes paroles, je les dévorais ; ta parole était ma joie et la réjouissance de mon âme ; car ton nom est sur moi, ô Jéhova Sabaoth. Je ne me suis pas assis parmi les railleurs pour rire avec eux ; je me suis tenu sous la main à l’écart ; tu me remplissais d’indignation. Pourquoi est-ce que ma douleur est devenue continuelle ? ma plaie désespérée et incurable ? Tu es donc pour moi comme un ruisseau qui trompe, comme une eau qui a fui (15-15). » Ce sont là, ce me semble, de ces souffrances que l’homme ne connaît que quand il a beaucoup vécu et beaucoup senti, et que la violence et l’oppression ont pénétré jusqu’au fond de l’âme (voir aussi 12-1).

Et encore (20-14) : « Maudit soit le jour où je suis né, le jour où manière m’a enfanté ! Maudit soit l’homme qui porta la nouvelle à mon père, disant : Un enfant mâle t’est né, et qui lui donna tant de joie ! Que cet homme soit pareil aux villes que Jéhova a détruites sans pitié ; qu’il entende dès le matin le cri de guerre, et à midi le fracas du combat. Que ne m’a-t-on fait mourir avant de naître ! Que ma mère n’a-t-elle été mon tombeau, et que sa matrice ne m’a-t-elle gardé à jamais ! au lieu de sortir de son ventre pour ne voir que peine et misère, et consumer ma vie dans l’opprobre. »

Mais cette tristesse profonde n’éteint pas en lui l’ardeur, et il ne se décourage pas de son métier de prophète, ou plutôt il ne peut s’y refuser, car l’inspiration l’obsède. « Tu m’entraînes, ô Jéhova, et je me laisse entraîner ; tu me forces, et je ne puis résister ; tout le jour, je suis un sujet de risée ; tous se moquent de moi, car toutes les fois que je parle, je ne fais que crier, crier contre la violence : la parole de Jéhova est sans cesse pour moi un sujet d’insulte et d’opprobre. Je me dis alors : Je ne ferai plus mention de lui, je ne parlerai plus en son nom. Mais je sens en moi comme un feu brûlant qui couve dans mes os : il me fatigue et m’épuise, et je n’en puis plus… D’ailleurs Jéhova nie soutient comme un champion terrible, mes ennemis succomberont et ne prévaudront pas… Jéhova Sabaoth sonde le juste ; il pénètre les reins et les cœurs. Je verrai la vengeance que tu feras d’eux, et je te remets ma cause (20-7). »

Je ne veux pas oublier de dire qu’il y a un endroit (15-3) où Jéhova annonce qu’il va accomplir sur Babylone toutes les paroles qui sont dans le titre des prophéties de Jérémie. On ne peut guère avouer plus franchement que ce livre est une fiction.