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un pacte nouveau avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda, non pas à la manière du pacte que je lis avec leurs pères, au jour que je les pris par la main pour les faire sortir du pays d’Egypte… Mais voici le pacte que je ferai avec la maison d’Israël quand les temps seront venus, dit Jéhova : Je mettrai ma Loi au dedans d’eux et l’écrirai dans leur coeur ; je serai leur dieu et ils seront mon peuple, Chacun n’aura plus à enseigner son prochain ni à prêcher son frère, en lui disant : « Connais Jéhova ; car ils me connaîtront tous, depuis le plus petit jusqu’au plus grand (31-31). » Voilà des paroles telles que le christianisme, quand il est venu, n’avait, évidemment qu’à les reprendre, et, en effet, il les a prises. Il a déclaré que c’était lui qui apportait le nouveau pacte[1]. Il est clair que ces paroles, d’un si haut spiritualisme, n’ont pas été écrites sur la limite du VIIIe et du VIIe siècle avant notre ère, mais à cent ans à peu près de Jean le Baptiste et de Jésus.

En étudiant le Premier Isaïe, je n’ai pas parlé des prophètes en général, parce que le livre en parle à peine : Isaïe ne s’arrête nulle part sur le don de prophétie qu’il a reçu, et, s’il se plaint une ou deux fois des faux prophètes, c’est en passant et sans insister. Au contraire, la prophétie tient une très grande place dans Jérémie, et son livre est plein d’invectives contre les prétendus inspirés, qui prétendent parler au nom de Jéhova et ne parlent en effet qu’au nom de Baal, trompant sans cesse les peuples par des espérances mensongères. Des chapitres entiers ne sont que le développement de ces plaintes. On sent que les esprits étaient continuellement ballottés entre des prédictions qui les tiraient en sens contraire et qui entretenaient un état perpétuel de trouble et d’angoisse. On se défiait surtout, comme il est naturel, des prédictions favorables ; celles-là, on ne les croyait que quand elles s’accomplissaient (28-9), tandis que les voix qui annonçaient des catastrophes réussissaient toujours à effrayer. Mais ceux à qui on avait fait peur menaçaient à leur tour, et disaient : Tuons le prophète.

Aussi n’y a-t-il rien de plus intéressant dans Jérémie que ce qui est personnel. Seulement, je n’entends pas par là les aventures que le livre attribue à Jérémie, et où je ne vois que des fictions. Mais ce qui n’est plus fiction, ce qui est au contraire la vérité la plus vivante et la plus touchante, c’est la manière dont est peinte la situation morale d’un fils d’Israël, serviteur fidèle de son dieu, jeté

  1. Ἡ ϰαινὴ διαθήϰη (Hê kainê diathêkê), novum testamentum ; l’expression latine francisée est devenue le Nouveau Testament, ce qui n’a pas de sens dans notre langue ; il fallait dire le nouveau contrat.