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celle de Joachim, qui m’a paru représenter Ménélas ; il est désigné comme son frère, et le prophète semble opposer à celui qui est mort celui qui vit dans l’exil, comme plus malheureux encore. Tout cela pourroit désigner Jason (II Macc, 5-9).

L’histoire de Godolias (40-7) me paraît empruntée dans son fond au second livre des liais (25-22-26), mais il y a deux observations à faire. D’abord le prophète y ajoute (41-5) l’aventure des Samaritains massacrés à la suite du meurtre de Godolias, quand ils venaient adorer Jéhova au Temple de Jérusalem, aventure incompréhensible dans la situation où étaient alors ceux de Juda et les Samaritains, et au moment où le Temple vient d’être brûlé (II Rois, 25-9). Le reste du passage sur Godolias semble interrompre la suite naturelle du récit, lie sorte qu’on se demande s’il n’a pas été interpolé après coup dans le livre des Rois, d’après Jérémie, et si Jérémie lui-même ne raconte pas, sous des noms antiques, une histoire arrivée au temps des rois de Syrie, où périt quelque Israélite agent des Syriens, tué par des purs. Mais j’ai hâte de sortir et de faire sortir mes lecteurs de ces broussailles historiques, pour rentrer dans une voie plus large.

Il me reste à parler des récits dans lesquels Jérémie lui-même est en scène, particulièrement à partir du chapitre XXXVI. J’ai déjà dit qu’on ne pourrait comprendre, si ces récits étaient véritables, comment ils ne se retrouveraient pas dans le livre des Rois. Mais surtout ils ne donnent en aucune manière l’impression de la réalité, étant généralement aussi invraisemblables que dramatiques. C’est ainsi qu’il est raconté que Jérémie ayant dicté à Baruch ses prophéties, et celui-ci les ayant lues dans le Temple, devant tout le peuple, puis dans une assemblée de grands personnages qui avaient aussi voulu l’entendre, ceux-ci, après l’avoir fait cacher ainsi que Jérémie, font au roi un rapport sur ce qu’ils ont entendu. Le roi fait rechercher l’écrit et ordonne qu’on le lui lise à lui-même ; mais après quelques pages, le roi déchire le rouleau et le jette dans un brasier allumé devant lui, car on était en hiver. D’ailleurs ni le roi ni ses serviteurs ne s’effraient des menaces prophétiques, et ne pensent à demander grâce. Il est clair que nous lisons là une fiction, non une histoire.

Mais il est temps de laisser là les détails, dont l’interprétation est quelquefois difficile, pour m’attacher à l’esprit de la prophétie, qui ne peut laisser aucun doute sur la modernité du livre. Cet esprit est le même qu’en Isaïe, et il est encore plus marqué : c’est celui d’une religion réfléchie et passionnée, qui donne au prophète un accent qu’on peut déjà appeler chrétien. Ce peuple qui a tant souffert pour son dieu, et pour qui son dieu a tant fait à son tour, s’attache à lui avec une ardeur toute nouvelle et s’émerveille de sa