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Voilà un prophète qui, d’après le livre qui porte son nom, a rempli à Jérusalem, pendant les dernières années du royaume de Juda, un rôle considérable. Il prêche dans l’enceinte même du Temple, en présence des prêtres et du peuple ; il est mis en accusation devant les chefs de Juda. Quand le roi Jéchonias, tombé entre les mains de Nabuchodonosor, a été transporté à Babylone avec l’élite de ses sujets, il écrit à ces exilés pour leur donner des conseils, et sa lettre est portée à Jérusalem par les messagers mêmes que le nouveau roi, Sédécias, envoie à Nabuchodonosor. Il se permet encore de venir prophétiser devant Sédécias lui-même ; ou bien c’est Sédécias qui le fait amener pour l’interroger sur l’avenir. Une autre fois il met par écrit ses prophéties, et il en fait faire la lecture dans le Temple par son secrétaire Baruch, après que le peuple a été convoqué solennellement pour cette lecture à la suite d’un jeûne public. Puis, Baruch recommence cette lecture dans la maison royale devant les serviteurs du roi, et le roi finit par se faire apporter le livre et le faire lire devant lui. Plus tard, les chefs de Juda essaient de faire périr le prophète, le roi lui sauve la vie ; mais il demeure en prison, et c’est Nabuchodonosor qui, lorsqu’il a pris Jérusalem, le fait tirer de cette prison. Comment comprendre, quand on vient de lire tout cela, qu’il n’en soit pas dit un mot dans le livre des Rois, et que le nom même de Jérémie n’y soit pas une seule fois prononcé ? Cela ne dispose-t-il pas à croire que tous ces détails sont de pures fictions, où le prophète a encadré les pensées que lui inspiraient des événemens beaucoup plus récens ? Je reviendrai plus tarda ces passages. Et on verra d’ailleurs, dans la suite de ce travail, que cette ; dernière partie du livre, où Jérémie a ce rôle extraordinaire, présente une particularité qui dispose à croire qu’elle n’est pas de la même main que ce qui précède.

Mais ce qu’il faut dire tout d’abord, c’est que le livre de Jérémie dans son ensemble, et dès son début, accuse la même situation de Juda qu’on a reconnue dans Isaïe. Le peuple fidèle y passe par les mêmes épreuves et y court les mêmes dangers, sans cependant qu’il soit jamais question de la destruction du royaume de Juda et de la ruine de la ville et du Temple, si ce n’est dans deux morceaux (chap. XXXIX et LII) empruntés au livre des Rois et qu’on a cousus à la prophétie, comme on a fait pour les quatre chapitres placés à la fin du Premier Isaïe. Au contraire, Jéhova dit expressément, et il le répète plusieurs fois (4-27, etc.), qu’il épargnera sa ville et ne la détruira pas, et c’est ce qui résulte aussi d’un verset où il est dit (51-31) : « La honte a couvert notre front, car nous avons vu les étrangers entrer dans le sanctuaire de Jéhova. » Ce n’est pas ainsi que parlerait un homme qui