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est un homme de Juda, il est l’héritier de David, le fils de David ; c’est, pour ainsi dire, David lui-même dont le règne continue, comme on verra qu’il est dit dans Jérémie.

Les commentateurs, qui n’imaginaient pas de descendre jusqu’aux temps de Simon ou de son fils, ne savaient à quoi rapporter ces peintures. M. Reuss, de même que Rosenmüller, a pour seule ressource d’imaginer que ces morceaux, étant en dehors de l’histoire, prophétisent le personnage surnaturel qu’on a appelé l’Oint, en hébreu le Messie, expression qui ne se trouve d’ailleurs ni dans Isaïe, ni dans aucun des prophètes de cette époque.

Les contemporains de Simon comprenaient sans difficulté que c’était lui qui était célébré dans ces passages ; mais quand on fut à une certaine distance de cette résurrection de Juda ; quand on eut oublié, avec les dures épreuves de ces vingt-cinq ans, l’émotion de la délivrance ; quand on eut d’autres soucis et d’autres désirs, on n’attacha plus le même sens aux mûmes paroles. Le passé était passé ; désirs et espérances s’envolaient naturellement vers l’avenir ; et, après les tristesses des derniers règnes des Asmonées, après surtout qu’on eut commencé à sentir le poids de la domination romaine, quand on relisait les promesses d’Isaïe, on se figurait que ce libérateur si magnifiquement annoncé ne pouvait être que celui qui viendrait un jour, et comme on ne pouvait plus guère l’attendre du cours naturel des choses, on l’attendit d’un miracle et on le fit descendre du ciel. Voilà comment s’est formée l’idée du Messie.

Aux chapitres XIII et XIV, il n’est plus question de Juda, mais de Babylone, prise et ruinée par les Mèdes (13-17). Comme il était impossible de placer cet événement avant le temps de Cyrus, les critiques modernes ont bien été obligés de reconnaître que ces deux chapitres ne peuvent être de l’Isaïe du VIIIe siècle. M. Edouard Reuss est même allé dans cette voie jusqu’à se résoudre à les ôter de la place où on les lit dans le texte hébreu et à les renvoyer à un autre volume. Mais si on prend une telle liberté avec un livre prophétique, qui empêche d’en prendre beaucoup d’autres, et, si on les fait descendre de deux siècles, pourquoi pas de six ?

Et ici en particulier, je ne crois pas en effet qu’il soit question de la victoire de Cyrus. Nous étions tout à l’heure au IIe siècle ; je crois que nous y sommes encore, et qu’il s’agit de l’invasion des Parthes en Syrie, qui eut lieu précisément à cette époque, et où leur roi Mithridate prit Babylone[1]. Le roi de Syrie était Démétrius

  1. Mithridates, rex Parthorum sextus ab Arsace, victo Demetrii præfecto, Babylonam urbem finesque ejus universos victor invasit, etc. (Orose, V, 4, 16.)