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organisées ou tolérées, de petites vexations que l’hôte du Vatican a pu considérer comme autant d’atteintes à sa dignité et à son autorité morale. L’apothéose de Giordano Bruno, dont Léon XIII a pu entendre le bruit, n’a été qu’une dernière circonstance qu’il a pu invoquer pour démontrer l’inanité de la loi des garanties, et par l’inefficacité de la loi des garanties, la nécessité d’une indépendance plus réelle, mieux assurée. Les Italiens, dans leur impatience, n’ont pas vu qu’ils divulguaient le secret d’une incompatibilité qui était peut-être dans la nature des choses, qu’il n’aurait pas fallu du moins aggraver. Ils n’ont pas vu qu’en faisant une papauté diminuée dans son indépendance, gênée dans son action, offensée dans sa dignité, ils créaient une situation impossible. Ils ont oublié qu’ils avaient affaire à un personnage qui n’était pas seulement un prélat italien, un évêque de Rome confiné au Vatican, qui était en même temps le chef de l’église universelle, le souverain de millions de catholiques, — et, chose extraordinaire, c’est un étranger, un allié, le chef d’un état protestant qui leur a rappelé un jour que le grand vieillard du Vatican restait une puissance morale respectée. Ils l’avaient oublié ; ils se sont exposés avoir une puissance qu’ils traitaient en subordonnée, relevée à sa hauteur, invoquée comme arbitre dans un différend international. Et voilà comment les Italiens, pour leur politique intérieure, ont rendu toute solution sinon impossible, au moins difficile ; mais c’est surtout par leur politique extérieure qu’ils ont aggravé la difficulté, en rendant plus palpable une des conséquences possibles des révolutions contemporaines.

Tant que le souverain pontife avait son petit état, la ville de Rome, il restait sans effort dans sa neutralité reconnue et garantie, dans son inviolabilité supérieure et impartiale, en dehors des querelles des peuples, pour qui il n’a pas cessé d’être sans distinction un chef spirituel, le grand directeur des consciences. Tant que l’Italie, même après son entrée à Rome, a gardé la liberté et l’indépendance de sa politique, sans se compromettre dans des conflits où elle n’a ni à défendre des intérêts qui ne sont pas en péril, ni à sauvegarder une sécurité qui n’est point menacée, la situation pouvait encore être tolérable. Le jour où l’Italie, de son propre mouvement, cédant à ce que M. Jacini appelle la manie des grandeurs, rêvant de triple alliance, de vastes combinaisons, s’est exposée à être entraînée sans raison, sans nécessité nationale, dans la mêlée universelle, il est évident que tout a changé, et ce jour-là, le grand solitaire du Vatican a pu se demander ce qu’il aurait à faire, s’il devait rester au camp d’une des nations catholiques engagées dans une guerre. Le pape Léon XIII a-t-il pris décidément une résolution d’accord avec le sacré-collège réuni l’autre jour en consistoire secret ? A-t-il précisé les circonstances où il se croirait obligé d’abandonner le Vatican et désigné le pays étranger où il ira chercher un asile ? A-t-il choisi l’Espagne comme la contrée la plus éloignée des