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à la France une armée devenue en peu d’années par sa discipline, son instruction et son dévoûment la force et le bouclier de notre pays. C’est une expérience à laquelle l’état de l’Europe, les circonstances donnaient quelque chose de redoutable. On a voulu la tenter, elle a sûrement besoin d’être suivie avec autant de fermeté que de vigilance. Ce qu’il y a de certain, c’est que si elle est devenue moins hasardeuse dans quelques-unes de ses parties, s’il y a dans la loi nouvelle quelques garanties, quelques ménagemens pour des intérêts qui sont après tout les intérêts de la société française, c’est l’œuvre du Sénat ; ce n’est pas la faute de la majorité de la chambre, qui a témoigné jusqu’au bout son fanatisme puéril en laissant trop voir que pour elle le premier et le dernier mot de la loi, c’était l’enrôlement des séminaristes. C’est bien malgré elle qu’elle s’est résignée à une année de service pour les élèves ecclésiastiques, pour les jeunes gens destinés aux professions libérales : de sorte que ce qu’elle a fait de plus sérieux, elle l’a subi, pour avoir l’air de faire quelque chose.

Ce que la chambre vote ou ne vote pas, du reste, ce n’est plus la question ; ce n’est plus qu’un incident qui se perd dans cette vie tourmentée et fiévreuse qu’elle s’est faite, où elle se débat, partagée entre l’exaspération et l’impuissance. La vérité est que cette fin de session est tout entière, non certes à des lois sérieuses, mais aux interpellations, aux collisions, aux divulgations injurieuses, aux brutalités de parole et quelquefois d’action, à cette série de scènes, de déchaînemens, où le sens moral s’émousse aussi bien que le sens politique. Ce n’est plus la vie parlementaire, c’est la guerre avec toutes ses surprises, avec ses procédés violens et sommaires, avec ses représailles implacables et sans scrupule.

Tout sert de prétexte et tous les moyens sont bons. On puise dans les archives secrètes, dans les correspondances intimes aussi bien que dans les dossiers d’un procès ; on fait appel aux délations, aux témoignages suspects pour avoir le plaisir de se renvoyer les accusations les plus sanglantes, — des accusations qui touchent ni plus ni moins à l’honneur et à l’intégrité des hommes, même des hommes du gouvernement, surtout des membres du gouvernement. Bref, on en est venu à croire que tout est permis, qu’on peut se servir de toutes les armes, que les diffamations les plus retentissantes sont les meilleures. C’est une véritable épidémie qui règne au Palais-Bourbon comme dans la presse. Ce n’est point d’aujourd’hui, à vrai dire, qu’elle a commencé ; mais elle s’est étrangement développée à la faveur des mœurs nouvelles, des habitudes de la presse, des ressentimens croissans des partisse la faveur aussi de cette crédulité vulgaire d’un public toujours prêt à accueillir les indiscrétions. Et tout le monde y passe, tout le monde est plus ou moins atteint, et on va ainsi d’une accusation à une autre accusation, d’un scandale à un autre scandale. Un jour,