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ni le seul après Gluck à proclamer la nécessité, pour ce principe unique, que de contrastes et d’antinomies entre les deux maîtres ! Que de preuves, par conséquent, que la nouvelle loi n’est pas la loi éternelle et unique de la raison et de la beauté ! Gluck est bref et simple ; Wagner long et complexe. De l’un, les harmonies sont primitives, les modulations rares et peu variées ; l’autre module sans cesse et ses trouvailles harmoniques ne sont pas l’une des moindres merveilles de son génie. L’orchestre de Wagner (c’est Wagner tout entier ; celui de Gluck est de moindre importance. Les répétitions de paroles, antipathiques à Wagner, sont indifférentes à Gluck ; le leitmotiv lui est étranger. Des phrases carrées, très nettes de contour et de rythme, vous en trouverez peu chez l’auteur de Partifal ; chez l’auteur d’Orphée, on n’en trouve presque pas d’autres. Plus d’airs, surtout d’airs à couplets, dit l’Évangile de Bayreuth. Comment appeler l’admirable plainte : J’ai perdu mon Eurydice, avec ses trois reprises identiques, que variait seule la superbe fantaisie de Mme Viardot ? Et les ensembles, les chœurs, sont-ils proscrits d’Orphée comme de presque toute la Tétralogie ? — Mais que voulez-vous ? Gluck n’est plus là pour faire ses réserves et marquer les distances. Ses œuvres ? Le public qui ne les entend plus en croit ce qu’on lui en dit, et s’imagine que l’Anneau de Nibelung est en germe dans la préface d’Alceste. Il n’importe. Un wagnérien de nos amis, à la représentation d’Orphée, fulminait contre ce qu’il appelle les mélodistes, quand tout à coup l’orchestre attaqua la ritournelle éminemment mélodique de l’air : J’ai perdu mon Eurydice. Alors, et de la meilleure foi du monde, il se tut pour admirer. « Fit-il pas mieux que de se plaindre ? »

Entre la musique italienne et la musique russe, inutile de chercher une transition. Rien ne rappelle moins Linda que Slenka-Razine, poème symphonique de M. Glazounow, si ce n’est Antar, autre poème symphonique de M. Rimsky-Korsakow. On a exécuté l’un et l’autre au Trocadéro, avec des œuvres de MM. Cui, Tschaïkowski et Borodine.

M. Tschaïkowski n’est plus ignoré en France ; nous aimons déjà plus d’une de ses compositions, mais pas le concerto dont nous avons entendu, l’autre jour le premier allegro. Après une phrase claire et belle au début, nous nous sommes perdus pour ne plus nous retrouver.

De M. Cui, la Marche solennelle est interminable. De M. Borodine, une page descriptive nous a charmé par la douceur et la mélancolie de mélodies exotiques, par d’heureux effets d’instrumentation, comme une pure et haute tenue de violons qui semble envelopper l’orchestre d’une atmosphère transparente et calme.

Ni le calme ni la transparence ne caractérisent la symphonie de M. Rimsky-Korsakow, Antar, une œuvre violente et compacte, trop longue aussi, que des tendances par trop littéraires obscurcissent au