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plusieurs révolutions, aux antipodes de son point de départ, sous le vague profil de la terre Louis-Philippe. Durant le parcours, des réseaux diversement colorés lui permettent de suivre les grandes lignes de navigation, de chemins de fer, de télégraphes, les itinéraires des explorateurs fameux. Des groupes de clous lui indiquent les principaux gisemens des métaux dont ces clous ont la couleur. Comme je marquais ma surprise de ce qu’on n’eût pas fait saillir le relief des montagnes, il me fût répondu que le Gaurisankar, le plus haut pic de l’Himalaya, aurait 8 millimètres de saillie à l’échelle. Ce serait trop humiliant pour les Alpes et les Pyrénées. Le long des murs, une suite de pancartes donne en gros chiffres, sur des tableaux de statistique comparée, ces renseignemens que tout le monde est censé savoir, qu’on ignore toujours, et où l’on puise d’un seul regard tant d’idées. J’y vois que la Chine a 13 kilomètres de chemins de fer, et l’Union américaine 242,000 ; je comprends sans autre commentaire la marche actuelle de la civilisation autour de ce globe. Le mouvement commercial me donne pour l’Angleterre un chiffre double de celui que l’Allemagne et la France réunies alignent au-dessous, supérieur aux chiffres additionnés de tous les peuples extra-européens, si l’on défalque de ces derniers les colonies britanniques ; ces quelques nombres suffisent pour m’expliquer l’histoire et la politique de l’Angleterre. Un autre tableau me rappelle qu’il y a près de 500 millions de bouddhistes, le tiers de l’humanité ; cela augmente ma considération pour le Bouddha de bronze qui sourit dans le vestibule des Arts libéraux.

Cela m’enhardit aussi à présenter une requête aux créateurs du globe : j’aimerais qu’au lieu d’être posé sur ce modeste socle de tôle, il fut porté par un éléphant, que porterait une tortue. Mais je n’insiste pas, mon vœu est d’exécution difficile ; et puis, l’on n’aurait qu’à me demander qui porterait la tortue ? En revanche, j’insisterais pour trouver à l’entrée la reproduction de quelque ancienne sphère terrestre ; par exemple, la célèbre mappemonde de Martin Béhaïm, conservée au musée de Nuremberg, et qui nous montre l’univers des gens de 1492, au moment où Colomb s’embarquait. Ce jalon historique devrait être ici, de même qu’on devrait figurer ailleurs le mannequin anatomique sur lequel travaillait Harvey, à côté de celui qui sert aux élèves de Claude Bernard et de Broca. Ces témoins apprendraient aux découragés que les pauvres modernes, si facilement sacrifiés aux anciens, ont fait en trois ou quatre siècles, dans la connaissance exacte du monde et de l’homme, dix fois, vingt fois plus de chemin qu’on n’en avait fait durant six mille ans. A peine quelques vides, quelques incertitudes sur notre sphère. L’Afrique se défend encore : on marche un instant devant sa zone