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Ces dômes légers me rappelaient par leur aspect ceux que je vis naguère en Asie : par leur destination, ils me rappellent plus fortement encore la tente de feutre où le Turcoman nous recevait, sur l’emplacement des cités ruinées. Sans aller si loin, vous pouvez la voir en maint endroit de l’esplanade, cette aïeule de toutes nos demeures, abritant le Peau-Rouge, le Lapon, l’Africain. Si je comprends bien l’histoire de l’habitation, telle qu’elle se déroule sous nos yeux de la hutte lacustre à la galerie des machines, l’homme a fait un long effort, pour donner à sa maison des proportions toujours plus vastes et une stabilité toujours plus grande. Les sociétés adultes ont pesé sur le sol avec leurs monumens de pierre, qui se promettaient une durée indéfinie. Mais voici qu’au terme de l’effort, par une de ces ironies dont l’histoire est pleine, le cercle où nous tournions se referme ; le dernier degré de la civilisation rejoint le premier, l’instinct nomade se réveille sous d’autres formes. Petite tente de peaux au début, colossale tente de fer au déclin, mais toujours des tentes ; les deux ne diffèrent que par les matériaux et les dimensions. Celle-ci comme celle-là doit abriter des multitudes en mouvement ; non plus un peuple pastoral, mais un peuple ouvrier qui se presse dans les gares, qui erre d’atelier en atelier, qui n’a le plus souvent, au sortir de l’usine, que des foyers précaires et changeans. Même pour les classes favorisées de la fortune, la demeure héréditaire et l’établissement à long terme, deviennent l’exception, dans cette circulation incessante des personnes et des biens. Telle ville, où les rares étrangers ne trouvaient qu’une auberge il y a cent ans, compte aujourd’hui plusieurs hôtels dans chaque rue et voit passer chaque année une population flottante. Ne dit-on pas que les Américains de toute condition, ces chefs de file dont nous prenons les mœurs, vivent de préférence dans les grands caravansérails, comme le marchand d’Asie dans les cellules communes du khân ? Et comme le coffre de cyprès où ces marchands portent tout leur avoir, une valise suffit au moderne Occidental pour y serrer ses valeurs mobilières, des vagabondes aussi ! Oui, c’est l’humeur transformée du vieil Orient qui nous revient avec son génie artistique ; et ce sont bien de mobiles tentes de fer qu’il faudra désormais, pour loger les troupeaux d’hommes agités de cette humeur.

Voilà des prévisions désagréables aux gens casaniers et puissamment installés sur la terre. Je déplore avec eux l’instabilité croissante du foyer ; mais il y a peut-être quelque part le dessein arrêté de nous rappeler une ancienne leçon, trop vite oubliée au sommet des civilisations opulentes ; cette leçon enseigne aux voyageurs, engagés dans le court voyage, qu’il est vain de s’attacher à la terre et d’y faire d’âpres établissemens. Peut-être aussi touchons-nous à un de ces momens de l’histoire, — ce ne serait pas