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servir des besoins grossiers. Pourtant, comme ces besoins étaient les plus intenses et les plus caractéristiques de notre époque, on pouvait prévoir que l’art deviendrait un jour leur tributaire, et qu’il ne sortirait de sa langueur qu’en se mettant à leur service. La réconciliation de l’ingénieur et de l’artiste avait été essayée, sans doute, mais timidement et à l’insu du grand public ; pour nous tous, elle datera de l’Exposition de 1889. Cendrillon s’est fait reconnaître de ses sœurs sur le Champ de Mars ; l’architecture industrielle, avec le fer pour moyen, a désormais une valeur esthétique. Elle n’est pas arrivée à ce résultat sans tâtonnemens ; rien n’est plus philosophique et plus instructif que les efforts du fer pour chercher sa forme de beauté, dans la série des palais qui figurent « l’Arc de triomphe renversé. »

Voici d’abord le dôme central, avec son luxe lourd et voyant. Ici, le fer s’est trompé, parce qu’il a suivi les vieux erremens de construction et de décoration, parce qu’il a subordonné ses propres convenances à celles de la pierre qu’il remplaçait. Certes, il y a des choses excellentes dans ce dôme ; l’armature de l’intérieur est élégante ; à l’extérieur, nous trouvons déjà l’alliance du métal et de la brique, qui sera l’un des traits constitutifs des nouvelles méthodes. Mais l’imagination de l’artiste est visiblement obsédée par les magnificences de l’Opéra, ces mauvaises conseillères ; elle s’efforce d’en reproduire les motifs principaux, les niches, les acrotères, les surcharges de fonte ciselée ; au dedans et sur la façade, le zinc d’art est déchaîné, avec ses écussons emblématiques entre les grosses dames nues ; sur ces écussons, des locomotives, des machines compliquées, des dieux, des bestiaux, des républiques, le symbolisme facile des concours agricoles ; trop de reliefs, trop de couleurs, trop d’ors. Pour son coup d’essai ; le fer a voulu être somptueux ; il n’est qu’endimanché, le rude ouvrier ; et sous sa défroque seigneuriale, je n’aperçois plus la seule beauté que j’attende de lui, une musculature puissante et flexible.

Faisons quelques pas : nous entrons dans la galerie des machines. On a épuisé les formules de l’admiration devant cette nef haute de 45 mètres, longue de 400. Encore faut-il savoir pourquoi elle est si belle ; parce que le fer, renonçant à lutter avec la pierre, n’a cherché ses moyens d’expression que dans sa propre nature, dans sa force, sa légèreté, son élasticité ; parce qu’il a résolument sacrifié la quincaillerie décorative et s’est rappelé cette loi fondamentale de l’esthétique : la beauté n’est qu’une harmonie entre la forme et la destination. Évidemment, ceux qui ont assemblé ces formes ne se sont pas préoccupés d’imiter tel ou tel type, réalisé avant eux avec d’autres matériaux et pour d’autres usages ; ils ont consulté les propriétés du fer,