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le moresque ; nous avons eu le style de la Restauration, — Voir la Bourse, — le style Louis-Philippe, — ne rien voir, — le style du second Empire, — Voir le nouvel Opéra, — le style de la troisième République, — Voir le Trocadéro. Copies fidèles de l’antique ou assemblages luxueux d’élémens composites, nos monumens attestaient la science de nos artistes et l’absence d’invention. On a restauré les reliques du passé avec une perfection inconnue aux époques créatrices, comme il convenait à un siècle de critique savante ; les rares talens d’un Viollet-le-Duc se sont dépensés à des restitutions.

Cette stérilité surprend d’abord, si on la compare à la glorieuse fécondité de la peinture, proclamée par les collections du Champ de Mars. L’anomalie apparente s’explique, dès qu’on réfléchit aux conditions particulières des deux formes d’art. La richesse de notre peinture provient d’une variété infinie d’efforts individuels, et de quelques sentimens généraux très développés dans notre temps, comme le sentiment de la nature, le sentiment de l’histoire. En architecture, l’individu ne peut rien ; c’est un art collectif et symbolique, l’art social par excellence ; il ne trouve des types nouveaux que pour traduire un état social définitivement assis, des besoins universels devenus consciens. Temple grec ou amphithéâtre romain, cathédrale gothique ou donjon féodal, palais du marchand florentin ou de la monarchie centralisée, tous les édifices significatifs échappent à la fantaisie individuelle ; ils sont l’expression la plus fidèle et la plus générale des tendances dominantes dans la vie d’un peuple à un moment de son histoire. — Notre siècle ne pouvait pas avoir une architecture qui lui fût propre, parce qu’il n’a pas atteint, à travers toutes ses expériences, un état social avéré, manifeste pour tous.

Cet état commencerait-il à apparaître ? Il y a des raisons de le penser, puisque l’Exposition révèle l’avènement d’un art tout nouveau, l’art de la construction en fer. Entendons-nous bien. Ce n’est pas d’hier que l’on a commencé à couvrir de vastes espaces avec des vitrages supportés par des piliers et des arcs de fonte. Dans les usines, dans les grands ateliers, dans les halles, dans les gares, dans tous les centres de travail et de mouvement où la vie populaire a ses foyers les plus actifs, le fer s’est insensiblement substitué au bois et à la pierre ; il fournit presque seul la charpente de nos maisons. Mais les fils de Tubalcaïn avaient déjà mis leur marteau dans toutes les œuvres vives de notre société, qu’on les ignorait encore dans les loges où l’on dispute le prix de Rome. Cette révolution s’accomplissait humblement, au-dessous et en dehors de l’art officiel ; l’art dédaignait une architecture industrielle, faite pour