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Marlowe, avec un incomparable éclat : témoin les pièces lyriques, si peu connues en France et si dignes pourtant de l’être, des Dyer, des Constable, des Greene, mi-italiennes, mi-grecques, charmantes dans leur fraîcheur un peu précieuse. Dans l’époque suivante, celle qui précède immédiatement la révolution, on trouverait, entre beaucoup d’autres, ce poète si plein de Théocrite et de l’Anthologie, Robert Herrick. On arriverait ainsi à Milton, le plus remarquable et peut-être l’unique exemple de l’inspiration païenne s’unissant, dans un parfait accord, à l’inspiration chrétienne : également grec dans Comus ou dans le Penseroso, et chrétien dans Samson ou dans le Paradis perdu. Dryden pourrait être considéré, dans ses odes, comme un disciple de Pindare. Pope, en apparence le moins grec des poètes, a traduit Homère. Ce serait peut-être pousser le paradoxe un peu loin que de faire de Thompson ou de Shenstone des disciples des Grecs : tout ce qu’on pourrait prouver, c’est qu’il y a eu une veine non interrompue d’imitation des poêles grecs depuis le XVIe siècle jusqu’au XIXe, et en conclure que Keats, après tout, n’a rien innové. Mais le bon sens du lecteur ferait justice de cette thèse. Car, comme il y a plusieurs Grèces différentes, il y a aussi plusieurs façons d’imiter les poètes grecs et de s’inspirer d’eux. Rien ne prévaudra contre l’idée que le plus grec des poètes anglais est Keats ; il est aisé de montrer qu’il y a en lui plus d’un élément étranger au génie hellénique ; il l’est beaucoup moins de prouver que, pris dans son ensemble, il ne donne pas l’impression de ce génie.

La Grèce où il a placé la scène de son Hypérion n’est pas le pays ensoleillé où les montagnes se découpent on lignes claires sur l’horizon, où la vie est douce et sobre, où la vue est nette comme l’esprit. C’est, au contraire, le pays de la demi-teinte et du clair-obscur, une Grèce très ancienne et pourtant déjà lasse de vivre, « où le vent souffle, chargé de légendes, à travers les arbres ; » contrée des mystères et des religions antiques, où des dieux, « silencieux comme une urne sainte, » regrettent les temps reculés où ils commandaient à la terre. Parlant du Centaure de Maurice de Guérin, ce fragment d’un poème en prose qui, par plus d’un trait, fait songer à Hypérion, Sainte-Beuve dit que l’auteur a voulu peindre a ces grandes organisations primitives en qui le génie de l’homme s’alliait à la puissance animale, encore indomptée, et ne faisait qu’un avec elle ; par qui la nature, à peine émergée des eaux, était parcourue, possédée ou du moins embrasée dans des courses effrénées, interminables. » C’est dans une époque mythologique un peu postérieure, mais lointaine encore et mystérieuse, qui se passe l’action d’Hypérion.