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étrange de bruits indéfinissables, qui viennent, s’éteignant, par les campagnes sonores, et se meurent tristement sur les landes stériles ; gardien redoutable des portes mystérieuses qui conduisent à l’universel savoir ; regarde, fils puissant de Dryope, tous ceux qui sont venus t’offrir leurs vœux, le front ceint de feuillage ! »

Il y a déjà dans tout ce passage ce sentiment profond d’une certaine mythologie grandiose et voilée, peut-être moins grecque qu’on ne le suppose, mais à coup sûr infiniment poétique, et dont le Centaure de Maurice de Guérin peut nous donner en France quelque idée.

Tandis que les bergers du Latmos célèbrent les mystères de l’an, leur roi Endymion est atteint d’une incurable mélancolie. Sa sœur Peona le presse de lui en confier le secret ; il lui avoue alors son amour pour une femme, une déesse peut-être, qu’il a vue en rêve, et dont le souvenir le poursuit. Tous les reproches de Peona sur ce chimérique amour n’y font rien. Endymion se meurt de regret.

Dans le second livre, il se met à la recherche de cette mystérieuse beauté. Une nymphe, déguisée en papillon, lui sert de guide. Il visite tout d’abord le monde souterrain, le monde étrange des grottes, des cavernes, de l’or, du saphir et du marbre, Keats nous en décrit longuement les horreurs et les magnificences. Dans ce voyage, son héros rencontre successivement Adonis et Vénus, puis Cybèle : « la mère des dieux, Cybèle, seule, toute seule, dans un sombre char : un vêtement noir jeté sur son corps majestueux ; le front pâle comme la mort, couronné de tourelles. Quatre lions à la large crinière traînent les roues indolentes… Silencieuse passe la reine, comme une ombre, et elle s’évanouit sous une arche obscure. » Puis, après avoir entrevu de nouveau son amante inconnue. Il parcourt la région des fleuves souterrains, où il rencontre Alpliée avec son Aréthuse. Ensuite « il se tourna, — il vint un son puissant ; il marcha, — il vint une lumière plus froide : alors il se dirigea vers elle par un sentier sablonneux, et voici qu’en moins de temps qu’un instant ne fuit, les visions de la terre furent parties et envolées : il aperçut le gigantesque océan au-dessus de sa tête. »

A partir du troisième livre, le héros qui, jusque-là ne s’est intéressé qu’à ses propres souffrances, prend part à celles des autres. Il rencontre au fond de la mer le vieillard Glaucus, assis sur un roc, « un tapis d’herbes sous ses pieds maigres et froids. » Glaucus lui conte comment il a, dans sa jeunesse, aimé une nymphe, Scylla ; comment Scylla a été tuée par Circé, jalouse ; comment lui-même, pour avoir cédé à l’amour de Circé, est devenu, par un juste