Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernement pontifical « la cession » : l’Apollon du Belvédère et le Laocoon, le Gladiateur mourant et le Discobole, vingt autres marbres admirables encore. Enfin, pour clore ce long défile de chefs-d’œuvre, la Vierge de Foligno et la Transfiguration de Raphaël, des tableaux de Titien, de Corrège, de Paul Véronèse, achevaient d’étonner les regards des uns, de saisir et d’émouvoir l’intelligence des autres, d’inspirer à tous la même fierté en face de ces témoignages matériels des récentes victoires de la France.

Qui eût dit alors que tant de trésors dont nous nous croyions à jamais les possesseurs ne seraient entre nos mains qu’un dépôt qu’il nous faudrait rendre à courte échéance ; qu’avant vingt ans, nous serions obligés de livrer à notre tour ce qui semblait être devenu notre bien, qu’en un mot l’on invoquerait contre nous ces mêmes droits de la force dont nous avions au moins imprudemment usé ? Sans doute, — nous aurons l’occasion de revenir plus tard sur ce sujet, — les restitutions opérées en 1815 ne furent pas seulement les résultats de la violence, et, pas plus que la Messénienne irritée de Casimir Delavigne, les vers railleurs de Béranger ne sauraient aujourd’hui donner le change sur les vrais caractères du prétendu « vol fait par des rois ; » mais on comprend de reste qu’au moment où ils s’accomplirent, les recouvremens dont il s’agit durent paraître des déprédations, et que, à l’exemple de leur confrère Denon, les membres de l’Institut, autrefois hostiles aux projets du Directoire, n’aient plus ressenti que l’amertume de l’humiliation imposée à la patrie. — Mais revenons aux heures où l’on n’en est encore qu’à la joie du triomphe et à la confiance sans préoccupation qu’inspire l’éclat du spectacle présent.

Lorsque, après avoir traversé Paris dans l’ordre que nous avons indiqué, le cortège fut arrivé au Champ de Mars, « tous les chars, dit un témoin de la scène[1], se rangèrent dans l’arène sur trois lignes, ceux qui les avaient accompagnés formant un demi-cercle devant la statue de la Liberté. Les artistes du Conservatoire exécutèrent le Poème séculaire d’Horace mis en musique par Philidor, puis une Ode de Lebrun, musique de Le Sueur ; après quoi, les commissaires envoyés en Italie se sont avancés vers l’autel de la patrie et ont remis au ministre de l’intérieur, entouré des membres de l’Institut, la liste des objets qu’ils avaient recueillis… »

« Le lendemain, 10 thermidor, à trois heures, les autorités constituées et les ambassadeurs se sont réunis dans la Maison du

  1. Millin, Magasin encyclopédique, année 1738, t. II.