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à Rome seraient désignés, non par leurs juges naturels les peintres, les sculpteurs et les architectes de la troisième classe, ni même sur les propositions de ceux-ci, mais par l’Institut en corps, statuant dans la plénitude de son pouvoir et suivant ses inspirations propres. A la différence près de la situation sociale des juges et des garanties que pouvaient offrir leurs caractères personnels, c’était au fond retomber dans l’erreur commise en 1793, c’était reconstituer avec d’autres élémens le Jury des arts sorti de l’imagination de David et ayant fonctionné un moment de la manière que l’on sait. On ne tarda pas heureusement à revenir sur cette imprudente décision. Lorsque, par une lettre en date du 4 mai 1796, le ministre de l’intérieur Benezech eut informé l’Institut que les concours aux prix de Home, suspendus depuis trois ans, seraient repris l’année suivante pour se succéder désormais sans interruption, on comprit que le mieux était de laisser aux artistes seuls le soin d’apprécier les mérites relatifs des concurrens et de prononcer un jugement qu’il n’y aurait plus ensuite pour l’ensemble de l’Institut qu’à ratifier de confiance.

Quelque bonne volonté qu’on y mit pourtant, tout, d’abord, n’alla pas de soi. Il fallait, pour ce qui concernait les prix de Rome et le séjour en Italie des lauréats, compter avec les événemens tragiques qui venaient de se produire de l’autre côté des monts ; avec le meurtre du secrétaire de la légation de France, Basseville, assassiné en plein Corse par la populace romaine, avec les périls qu’avaient courus le directeur et les treize pensionnaires de l’Académie, — Girodet entre autres et le sculpteur Lemot, — obligés, à la veille d’une invasion de leur palais, d’aller chercher un refuge à Naples. Le Directoire exécutif avait bien pu, dès l’année 1795, décréter le rétablissement des fonctions de directeur de l’Académie de France à Rome, supprimées, trois ans auparavant, par la Convention[1] ; il avait bien pu nommer Suvée à cette place de directeur, vacante depuis la révocation de Ménageot en 1792 : le tout n’en restait pas moins lettre morte. Suvée, dans l’attente d’un moment propice, continuait de séjourner à Paris où il devait même forcément s’attarder jusqu’au commencement de 1801, et, de leur côté, les jeunes artistes auxquels le prix de Rome était décerné ne pouvaient profiter des avantages que cette récompense semblait leur assurer. C’est ainsi qu’un des lauréats du concours

  1. Le décret du 25 novembre 1792, par lequel la Convention supprimait la place île directeur de l’Académie de France à Home, occupée alors par Ménageot, n’avait pas pour cela porté atteinte à l’institution elle-même. L’Académie de France était maintenue ; seulement, au lieu de continuer à être régie par un artiste, elle se trouvait « désormais placée sous la surveillance de l’agent français près le saint-siège. »