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Autre m’accompagnait, un Autre, qui se tient ici debout à mon côté. Celui-là, tu ne peux le voir, parce que tes yeux sont encore indignes de le contempler ; mais bientôt tu le verras dans sa splendeur charmante, et tu diras : « Il est seul aimable ! » Tout à l’heure, s’il n’avait posé sa douce main sur mes yeux, ô Thaïs ! je serais peut-être tombé avec toi dans le péché, car je ne suis par moi-même que faiblesse et que trouble. Mais il nous a sauvés tous deux ; il est aussi bon qu’il est puissant et son nom est Sauveur. Il a été promis au monde par David et la Sibylle, adoré dans son berceau par les bergers et les mages, crucifié par les Pharisiens, enseveli par les saintes femmes, révélé au monde par les apôtres, attesté par les martyrs. Et le voici qui, ayant appris que tu crains la mort, ô femme ! vient dans ta maison pour t’empêcher de mourir ! N’est-ce pas, ô mon Jésus ! que tu m’apparais en ce moment comme tu apparus aux hommes de Galilée, en ces jours merveilleux où les étoiles, descendues avec toi du ciel, étaient si près de la terre que les saints Innocens pouvaient les saisir avec leurs mains, quand ils jouaient dans les bras de leurs mères, sur les terrasses de Bethléem ? N’est-ce pas, mon Jésus ! que nous sommes en ta compagnie et que tu me montres la réalité de ton corps précieux ? N’est-ce pas que c’est là ton visage, et que cette larme qui coule sur ta joue est une larme véritable ? Oui, l’ange de la justice éternelle la recueillera, et ce sera la rançon de l’âme de Thaïs. N’est-ce pas que te voilà, mon Jésus ? Mon Jésus, tes lèvres adorables s’entr’ouvrent ! Tu veux parler : parle, je t’écoute. Et toi. Thaïs, heureuse Thaïs ! entends ce que le Sauveur vient lui-même te dire : c’est lui qui parle et non moi. Il dit : « Je t’ai cherchée longtemps, ô ma brebis égarée ! je te trouve enfin ! Ne me fuis plus. Laisse-toi prendre par mes mains, pauvre petite, et je te porterai sur mes épaules jusqu’à la bergerie céleste. Viens, ma Thaïs ! viens, mon élue, viens pleurer avec moi ! »

Et Paphnuce tomba à genoux, les yeux pleins d’extase. Alors Thaïs vit sur la face du saint le reflet de Jésus vivant.

— O jours envolés de mon enfance ! dit-elle en sanglotant. O mon doux père Ahmès ! bon saint Théodore, que ne suis-je morte dans ton manteau blanc, tandis que tu m’emportais aux premières lueurs du matin, toute fraîche encore des eaux du baptême !

Paphnuce courut à elle en s’ écriant :

— Tu es baptisée ! ô sagesse divine ! ô Providence ! ô Dieu bon ! Je connais maintenant la puissance qui m’attirait vers toi. Je sais ce qui te rendait si chère et si belle à mes yeux. C’est la vertu des eaux baptismales qui m’a fait quitter l’ombre de Dieu où je vivais pour t’aller chercher dans l’air empoisonné du siècle. Une goutte, une goutte sans doute des ondes qui lavèrent ton corps a jailli