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Dieu et pour les siècles des siècles ; ce que j’ai pour toi dans mon sein se nomme ardeur véritable et divine charité. Je te promets mieux qu’ivresse fleurie et que songes d’une nuit brève. Je te promets de saintes agapes et des noces célestes. La félicité que je t’apporte ne finira jamais ; elle est inouïe, elle est ineffable et telle que, si les heureux de ce monde en pouvaient seulement entrevoir une ombre, ils mourraient aussitôt d’étonnement.

Thaïs, riant d’un rire mutin :

— Ami, dit-elle, montre-moi donc un si merveilleux amour. Hâte-toi ! de trop longs discours offenseraient ma beauté, ne perdons pas un moment. Je suis impatiente de connaître la félicité que tu m’annonces ; mais, à vrai dire, je crains de l’ignorer toujours et que tout ce que tu me promets ne s’évanouisse en paroles. Il est plus facile de promettre un grand bonheur que de le donner. Chacun a son talent. Je crois que le tien est de discourir. Tu parles d’un amour inconnu. Depuis si longtemps qu’on se donne des baisers, il serait bien extraordinaire qu’il restât encore des secrets d’amour. Sur ce sujet les amans en savent plus que les mages.

— Thaïs, ne raille point. Je t’apporte l’amour inconnu.

— Ami, tu viens tard. Je connais tous les amours.

— L’amour que je t’apporte est plein de gloire, tandis que les amours que tu connais n’enfantent que la honte.

Thaïs le regarda d’un œil sombre ; un pli dur traversait son petit front :

— Tu es bien hardi, étranger, d’offenser ton hôtesse. Regarde-moi et dis si je ressemble à une créature accablée d’opprobre. Non ! je n’ai pas de honte, et toutes celles qui vivent comme je fais n’ont pas de honte non plus, bien qu’elles soient moins belles et moins riches que moi. J’ai répandu la volupté sur tous mes pas et c’est par là que je suis célèbre dans l’univers. J’ai plus de puissance que les maîtres du monde. Je les ai vus tous à mes pieds. Regarde-moi ; regarde ces petits pieds : des milliers d’hommes paieraient de leur sang le bonheur de les baiser. Je ne suis pas bien grande et ne tiens pas beaucoup de place sur la terre. Pour ceux qui me voient du haut du Sérapéum, quand je passe dans la rue, je ressemble à un grain de riz ; mais ce grain de riz causa parmi les hommes des deuils, des désespoirs et des haines et des crimes à remplir le Tartare. N’es-tu pas fou de me parler de honte, quand tout crie la gloire autour de moi ?

— Ce qui est gloire aux yeux des hommes est infamie devant Dieu. femme, nous avons été nourris dans des contrées si distantes qu’il n’est pas surprenant que nous n’ayons ni le même langage ni la même pensée. Pourtant, le ciel m’est témoin que je veux